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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan
Autoren: Arnaud Delalande
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l’infini son sourd avertissement.
    Les hérétiques.
    —  Qui est le
Diable ? Quel est ce mal qui nous hante jusqu’à la mort ? C’est lui, le
Satân de l’Ancien Testament, qui soumit Job aux pires tourments pour éprouver
sa foi. Mais où est-il, le procureur, ce serviteur rebelle de Dieu ? Il
accusa Josué dans le Livre de Zacharie, il incita David au dénombrement d’Israël
dans le premier livre des Chroniques ; et le voici avec ses légions
rampantes, l’éternel contradicteur de Dieu. Mille noms lui furent donnés, Satân,
Lucifer, Belzébuth, Bélial, Béhémoth, Azazel ! Le voici qui se glisse dans
les Nombres, dans le premier livre des Rois ; partout il fait son office
et s’enfuit, l’Être révolté, dépendant du Tout-Puissant jusque dans ses
maléfices ! Et l’on nous dit aujourd’hui qu’il se tapit à Montségur, qu’il
se traîne au milieu de nous et que nous en sommes les disciples. Mensonge, mes
frères ! Reconnaissons le vrai langage de Dieu ! Vous tous, qui
voulez être consolés et recevoir la sainte oraison, par l’imposition des mains
des bons chrétiens, approchez ! Quinze jours… quinze jours, après une vie
de bataille, voilà tout ce qu’ils nous ont donné ! Ils nous auront poussés
jusque sur cette montagne, pour nous réduire à rien !… Leur sombre
politique aura fait de nous des monstres, alors qu’ils ont eux-mêmes bafoué le
verbe dont ils se réclamaient. La honte soit sur eux ! L’hérésie est leur
fille, la fille de cette honte.
    Bertrand récita le Pater. Chaque phrase fut
répétée par l’assemblée.
    C’était le moment de la dernière ordination.
    Cet instant n’avait pas seulement valeur de
symbole. Il n’était pas seulement un cri réitéré de renoncement au monde. C’était
par lui que s’était scellé le destin de l’Occitanie. Au fond de la salle, un
feu crépitait dans une cheminée. Escartille y noya son regard, tandis que la
voix grave de Bertrand s’élevait à nouveau.
    Seigneur, comment tout cela a-t-il pu nous
arriver ?
    Les hérétiques.
    Ils abjurèrent un par un la foi catholique
dans laquelle ils avaient été élevés. Ils clamèrent qu’ils entraient de tout
cœur dans l’Église cathare. Ils s’écrièrent d’une même voix qu’ils refuseraient
d’abjurer, qu’ils soient menacés par le feu, ou torturés et livrés aux
souffrances des hommes. Il y eut un silence, puis les membres de l’assemblée se
prosternèrent par trois fois. Leurs visages étaient blêmes, leurs traits tendus.
Ils sortaient d’une longue abstinence, qui n’était plus seulement due au jeûne
que recommandait leur foi, cette terrible endura, mais à ce siège
interminable qui les avait conduits au bord de l’épuisement. Ils s’étaient
regroupés ici comme une cohorte de fantômes, les yeux brûlants, la terreur
vissée au ventre. Les postulants s’agenouillèrent de nouveau. Ils furent absous.
Bertrand s’approcha d’eux, plaça l’Évangile sur leur tête et procéda à l’imposition
des mains. Les croyants récitèrent le Pater deux fois encore, puis les membres
de l’assemblée se donnèrent tour à tour le Baiser de Paix.
    — Vous faites désormais partie des hommes
de la nouvelle Église, dit Bertrand. Vous êtes nés de l’Esprit ! Soyez
fidèles à vos devoirs, et rendez grâces à Dieu.
    Sa voix baissa d’un ton. Il était épuisé. Il
ferma les yeux, vacilla quelques secondes, puis il acheva :
    — La tempête est sur nous, mes amis. Nous
avons résisté, ils nous ont persécutés, poursuivis sans relâche… N’oubliez
jamais que vous seuls serez restés dignes de notre pauvre humanité. Jusqu’au
bout, ne l’oubliez pas.
    Dans l’allée centrale, entre les bancs de bois,
on distribua aux nouveaux consolés des robes noires. Ils s’en revêtirent dans
le plus grand silence.
    Bertrand Marty était au bord de l’évanouissement.
Son frère se porta à son secours.
    Lorsque tout fut achevé, Escartille et
Aimery se dirigèrent vers l’évêque. Bertrand était assis dans un fauteuil
profond, une main ballante auprès de l’accoudoir.
    Il avait le front couvert de sueur.
    — Tout est fini, cette fois, dit-il. Donne-moi
ta main, Escartille.
    Escartille la lui donna.
    — C’est l’heure, dit-il. Les soldats sont
venus nous chercher.
    Bertrand Marty releva les yeux vers Escartille.
    — Que Dieu nous pardonne, souffla-t-il. Escartille,
tu sais ce qu’il te reste à faire. Montségur abrite
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