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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan
Autoren: Arnaud Delalande
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des hérétiques fut entassée derrière
les palissades. Ils montaient d’eux-mêmes aux échelles. Lentement, en file
indienne. Puis ils disparaissaient, un à un, de l’autre côté. Ils descendaient
au milieu des fagots. Lorsque enfin, tous furent rassemblés à l’intérieur, il
se fit un silence absolu, ponctué par des cris isolés, qui claquaient dans le
vent avant de s’éteindre comme ils étaient nés. Dans cet espace confiné, lieu
de leurs derniers instants, les hérétiques se rapprochaient les uns des autres,
de leurs parents, de leurs amis. Ainsi, ils y étaient ! Ce bûcher
effroyable auquel ils avaient songé, des années durant, ce brasier qui avait
animé toutes leurs angoisses et tous leurs cauchemars, voici qu’il était là, sous
leurs yeux, et qu’ils se trouvaient en son sein ! Les femmes de Montségur
s’apprêtaient à mourir auprès de leur mère ou de leurs enfants malades. Les
condamnés n’échangeaient plus que des gestes simples, à peine esquissés ; élans
pathétiques ramenés à leur plus simple expression. Ils s’unissaient dans un
même chagrin le temps d’un mot, d’un regard, d’une caresse, d’une étreinte. Leur
vie y était rassemblée d’un seul trait ; un dernier trait, dans lequel ils
mettaient les maigres forces qui leur restaient.
    Je ne veux pas mourir !
    Viens, viens près de moi.
    Puis il y eut d’autres cris. Celui de l’évêque
ordonnant aux bourreaux de faire leur office ; celui des bourreaux
eux-mêmes, propageant la consigne ; celui des soldats enfin, se glissant
autour du bûcher, torches en main. Un nouveau signal et, le poignet lourd, ils
abaissèrent les flammes, lorsqu’ils ne jetaient pas les torches à l’intérieur, balayant
les échelles d’un coup de pied. L’assemblée des clercs, regroupée pour une
chorale incongrue et terrible, entonna ses cantiques, alors que le feu prenait
de toutes parts. Au cœur de l’enclos, des éclairs de terreur animale s’allumèrent
dans les yeux des victimes. Leurs mains se crispèrent avec l’énergie du
désespoir sur une épaule, un bras, autour d’une taille – contre une chair
encore tangible, réelle. Les premières manifestations d’hystérie se firent
entendre, se mêlant à la modulation lancinante des litanies, qui faisait comme
un brouillard sonore au-dessus de leurs têtes. Les cathares s’étaient jetés d’eux-mêmes
au-devant des flammes, au cœur de ce bûcher ; ils s’agenouillaient
maintenant, tendaient leurs bras décharnés, reculaient vers d’impossibles
ombres.
    Et ce fut le brasier.
    Les inquisiteurs restèrent impassibles. La
chose était admirable : ils ne bougeaient pas. Leurs corps semblaient
coulés dans le marbre, leurs pieds et les phalanges de leurs mains revêtus d’acier.
Statues humaines figées dans leur propre éternité, tout à l’inflexible devoir
qui les commandait. Le feu grondait, ils se signaient avec calme. À n’en pas
douter, si ces dragons se fussent trouvés eux-mêmes à l’intérieur de l’enceinte,
profitant d’une miraculeuse immunité, ils eussent relevé les prisonniers un par
un, pour les forcer à se signer avec eux, avant de les laisser retomber. Mais
qu’importaient les flammes, puisque celles qui attendaient ces hérétiques dans
l’au-delà seraient plus terribles encore ? Pourquoi ces maudits
priaient-ils, puisque Dieu ne pouvait tolérer de les entendre ? Pourtant, certains
des clercs furent troublés par la force d’âme des condamnés qui s’étaient ainsi
livrés au feu, alors même qu’on leur avait donné le choix de s’y soustraire. Ceux-là
se trahissaient par leur nervosité ; ils jouaient de leurs doigts sur
leurs étoles, leurs mains se crispaient sur les crucifix qu’ils tendaient vers
le ciel, leur visage s’égarait. Soudain conscients de leur faiblesse, ils
jetaient un coup d’œil à droite et à gauche, espérant que les autres
représentants de la Sainte Église n’avaient pas noté cette incartade. L’admiration
était plus franche parmi les soldats qui, neuf mois durant, avaient mené un
siège qui leur avait coûté autant qu’à leurs victimes. Leur cœur se soulevait
de dégoût.
    Nous sommes des
anges déchus.
    Les hérétiques virent leurs pieds réduits en
cendres. Leurs muscles craquaient ; leur peau se consumait comme du cuir ;
leur moelle et leur sang sifflaient, leurs membres devenaient des bâtons
desséchés et noircis, les os de leurs jambes pendaient au milieu des
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