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Le tribunal de l'ombre

Le tribunal de l'ombre

Titel: Le tribunal de l'ombre
Autoren: Hugues De Queyssac
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le sais-tu ? Tu es bien jeunesse pour avoir connu ces temps de malheur ?
    — Sept ans ? Mais, mais j’aurai bientôt douze ans, votre Grâce !
    — Tu te méprends, je parlais d’une époque où tu n’étais point née…
    — Ah, oui ! Trop jeune pour l’avoir connue cette époque, certes. Et trop âgée pour ne point avoir ouï tous vos bienfaits.
    — Mais, par Saint-Bertrand, par quel sortilège as-tu pu me reconnaître ?
    — N’y voyez point un sortilège, messire. Nos parents nous ont appris à lire la couleur de vos armes depuis notre plus tendre enfance ! » justifia-t-elle en désignant du menton la bannière que brandissait mon écuyer. Visiblement surprise que je n’eusse pas saisi cette évidente relation…
     
    J’acceptai avec solennité son offrande et proposai deux œufs encore tièdes à chacun de mes écuyers qui n’avaient point démonté. Nous piquâmes la coque de la pointe de nos dagues pour les gober goulûment sous ses yeux. Elle nous regardait avec tendresse en passant une petite langue rose sur ses lèvres, sans plus prononcer une parole.
    Elle s’inclina en soulevant sa robe de grossier lainage brun, fléchit légèrement un genou et s’écarta du chemin. Je la rappelai aussitôt pour lui tendre deux florins d’or que je venais de sortir de mon aumônière. Le sourire qui éclairait son visage d’enfant s’éteignit et, d’un geste de la main, tête basse, elle refusa ce don.
    Je lui saisis alors les épaules avec douceur, posai un doigt sous son menton pour l’inviter à relever le chef et me courbai pour déposer une légère poutoune sur son front, tout en glissant les pièces dans son panier, à son insu. Un joli sourire illumina à nouveau ses yeux cristallins :
    « Prenez grand soin de vous, messire Bertrand ! Que Dieu vous garde ! » lança-t-elle avant de s’enfuir en courant à travers le sous-bois.
    Loin de m’amalir, j’en fus tout chaffouré : comment cet enfant émerveillable pouvait-elle savoir que je chevaucherai ce jour, à cette heure, vers mon destin ?
    Le destin que j’avais préparé de longue date et qui m’amenait ce jour d’hui à veiller aux derniers préparatifs du procès qui se tiendrait à huis clos, dès le lendemain. Dans la splendide salle souterraine de l’ancienne commanderie de l’Ordre du Temple.

    Nous n’étions pas revenus en ce village fortifié de Commarque depuis le mémorable et sanglant combat qui avait opposé nos gens d’armes et nos archers paysans improvisés aux soldats d’élite des batailles anglaises et aux Gascons de la comté de Béarn {4} .
    Que de souvenirs, que de fortes émotions nous assaillirent, que d’images défilèrent dans nos crânes lorsque nous franchîmes le pont-levis de la principale barbacane ! Les lieux n’avaient guère changé. Seuls, quelques aménagements avaient été apportés, ici ou là, pour rendre plus aisé le passage des hommes et des chevaux entre les différentes maisons fortes du village. Un fossé les séparait cependant toujours de la forteresse.
    « Vous semblez bien songeur, messire Bertrand, remarqua Onfroi de Salignac.
    — La guerre a épargné ce village depuis notre départ, mais les pierres souffrent, elles parlent. Ne les entends-tu pas gémir ? Elles nous content leur gloire passée, lorsqu’elles résistèrent victorieusement à l’assaut de nos ennemis. Il règne ce jour d’hui sur ces lieux un air d’infinie tristesse…
    — La brume, messire, la brume, ce n’est que légère brume qui s’élève de cette humide vallée.
    — Crois-tu, bel écuyer ? Je sens de lourds maléfices planer sur ces murs autrefois si vivants, si animés par la fougue ou l’insouciance de notre jeunesse.
    — Nous étions en guerre, messire Bertrand ! Et bien des nôtres ont été occis. Peut-être est-ce l’âme de ces malheureux qui parle et que tu entends.
    — Comme si ce village n’était plus peuplé que d’esprits fols, de lutins et autres farfadets, poursuivis-je sans prêter attention à la suggestion d’Onfroi de Salignac.
    — Aurais-tu lu trop souventes fois le roman des chevaliers de la Table Ronde ? Nous ne sommes point en la forêt de Brocéliande ! Point de fée Mélusine ici, renchérit Guilbaud de Rouffignac en souriant de toutes ses dents qu’il avait encore bellement blanches et intactes.
     
    Les murs, entre la maison des Commarque et la Maison-tour à contreforts, avaient été mieux remparés et de nouveaux
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