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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette
Autoren: Claude Izner
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faudrait délivrer ce paquet à ma belle-sœur, en sonnant à la porte de son appartement et non à la librairie. Évidemment, vous prendriez un fiacre…
    — Dès que nous aurons assaisonné cette salade, nous partirons.
    André Bognol s’était attendu à ce que Mme Pignot le reçût elle-même, non cette jeune fille au visage constellé de taches de son et aux larges yeux noisette.
    — Vous… vous êtes qui ? bégaya-t-elle.
    — Quelle godiche ! Dégagez, Zulma ! C’est à quel propos ? s’enquit Euphrosine, minaudant et s’évertuant à creuser de fossettes sa figure joufflue.
    — Nous sommes chargés par Mme Legris de présenter ceci personnellement à sa belle-sœur.
    — Nous ? Qui ça, nous ? Y en a d’autres ?
    Zulma allongea le cou.
    — C’est une façon de causer, bécasse. Fiez-vous à moi, monsieur, j’ vais lui donner, à Mme Iris, j’suis la mère de son époux.
    Au garde-à-vous, André Bognol crispa légèrement la bouche sans pour autant obtempérer.
    — Donnez-le-moi, j’vous dis !
    — Mme Legris nous a transmis une consigne, nous vous serions obligé de l’appliquer, énonça-t-il d’un air inébranlable.
    — La confiance règne ! Puisque c’est ça, va donc la chercher, niquedouille, mes fourneaux m’réclament ! cria Euphrosine à Zulma en tournant casaque.
    La bonne exécuta une révérence extatique, fascinée par André Bognol qui de son côté était la proie d’un bouleversement inconnu. Elle s’éloigna à reculons et fut engloutie dans l’appartement avant qu’à son tour Iris ne parût.
    — Zulma m’apprend que vous avez un colis de la part de Tasha ?
    Il le lui remit avec une profonde courbette. Iris contint à grand-peine un éclat de rire et courut s’enfermer dans sa chambre.
    En transe, Zulma tapotait d’un plumeau inefficace les chaises du salon en se répétant : « C’est donc ça, l’coup d’foudre ! » pendant que, cloîtrée dans la cuisine, Euphrosine enrageait de ne pas avoir emporté son keepsake.
    — La première chose que je f’rai à la maison, ça sera de l’coucher dans mon journal, ce larbin prétentieux !
    Iris découvrit avec ravissement les aquarelles de Tasha, où dominaient le vert et le bleu. Elle allait fabriquer un livre aussi beau que ceux du Moyen Âge, et chaque soir elle le montrerait à sa fille. En entendant le pas de Joseph, elle cacha précipitamment les illustrations sous le matelas, près du cahier.
    — Ma chérie, il s’est entretenu avec moi d’égal à égal, il m’a incité à continuer, il consent même à ce que je lui dédicace un exemplaire de mon roman !
    — Qui donc, mon amour ?
    — M. Zola ! Au moment où je prenais congé, j’ai été frappé d’une illumination, je terminerai Le Bouquet du Diable ainsi : l’ignoble Zandini envoyé au bagne de Toulon sera délivré grâce à la belle Carmella déguisée en gardien. Il s’éprendra d’elle, renoncera à la tuer, et ensemble ils vogueront vers l’Argentine.
    — Merveilleux, digne de Rocambole  !
    Tandis qu’Iris envisageait d’écrire un second conte à propos d’un âne rêvant de courir le Derby, Joseph déplorait de ne pas avoir doté Carmella d’une complexion de rousse, à l’instar de Mme Tasha. Ces pensées l’amenèrent à Valentine de Pont-Joubert, son élue de jadis. Il se ressaisit et décida d’envoyer une lettre à Émile Zola. A la recherche d’une formule d’introduction ronflante, il s’empara de son porte-plume à réservoir sans remarquer qu’il fuyait et que le papier se couvrait de pâtés.
     
    Micheline Ballu fulminait. Cet individu à faciès de pandore avait souillé de ses semelles crottées son escalier tout propre ! Elle tambourina à la porte des Pignot, et quand Euphrosine se montra, se plaignit amèrement du mépris qu’on témoignait à son ouvrage et à ses lumbagos.
    — Cet affreux bonhomme barbu, c’est chez vous qu’il est monté !
    — Le larbin ? Un crétin de la pire espèce, aussi abruti que cette nouille de Zulma !
    De « je ne vous le fais pas dire » en « qu’est-ce qui m’a fichu des cornichons pareils ? » les deux femmes se rabibochèrent. Tout juste si Mme Ballu ne tomba pas dans les bras d’Euphrosine quand celle-ci lui eut certifié qu’elles liraient chaque soir de concert un nouvel épisode du feuilleton de son Joseph.
     
    Lorsque Victor eut garé sa bicyclette et pénétré dans l’appartement face à l’atelier, Tasha
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