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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette
Autoren: Claude Izner
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CHAPITRE PREMIER
    Dimanche 7 janvier 1894
    La tempête s’acharnait contre les côtes normandes. Après avoir balayé les îles Britanniques, elle avait assiégé le pas de Calais, puis le Cotentin où sa fureur se déchaînait à présent dans la région de la Hague.
    Étendu tout habillé sur son lit à baldaquin, Corentin Jourdan écoutait les coups de bélier ébranler les murs. Le feu ronflait. Une pièce de toile tombait du manteau de la cheminée pour empêcher la fumée d’envahir l’espace. Les flammes léchaient de paillettes fugaces la fontaine de cuivre et l’horloge à balancier. Les ferrures de l’armoire, ornées de têtes d’oiseaux, semblaient vouloir s’envoler. Un feulement enroué domina brièvement le tumulte. Un matou affolé griffait la porte d’entrée garnie à l’extérieur d’une haie de genêts séchés. Corentin se redressa. Une boule de poils crottés, piquée d’un nez rose aux moustaches en vrille, jaillit en trombe de la chatière et vint se blottir au creux de l’édredon.
    — Dis donc, Gilliatt, est-ce ainsi que se comporte la mascotte d’un ancien capitaine ? Il n’y a pas de quoi fouetter un chat !
    Une déflagration démentit ces propos : le toit de chaume de l’appentis venait de s’écrouler. Contrarié, Corentin Jourdan entendit la cataracte s’abattre sur sa provision de bûches et tenta mentalement de chiffrer les dégâts. Il lui faudrait avoir recours au père Pignol, un satané filou mais le meilleur couvreur des environs. Un hennissement fusa de l’écurie mitoyenne. Flip devenait nerveux. Pourvu qu’il n’allât pas donner des quatre fers !
    Espérant probablement conjurer les éléments, le matou se lova sous l’aisselle de son maître en ronronnant aussi fort qu’une turbine. Corentin sourit.
    — Montre-toi à ton avantage, Gilliatt ! Ce n’est qu’un misérable grain !
    Il en avait vu de pires quand il pilotait la Marie-Jeanneton le long des îles Anglo-Normandes ! Sans ce maudit espar, fendu lors d’un coup de tabac, qui lui avait broyé le pied, jamais il n’aurait abandonné la marine.
    Il expira profondément. Bien que sa maison fût plantée à presque cinq cents mètres du rivage, le grondement des hauts-fonds investissait sa chambre telle une meute fantasmagorique. Les martèlements du ressac se répercutaient en lui, le berçaient. Il sombra.
    Lorsqu’il s’éveilla, il ressentit cette subtile impression de peur contre laquelle il lui avait fallu bander son énergie afin de tromper l’inactivité mêlée à la souffrance physique. Rester immobile sur un lit d’hôpital, dépendre du bon vouloir d’autrui, ne plus goûter la salure iodée du grand large… Cette claustration forcée l’avait contraint à faire un retour sur lui-même. Durant des semaines il s’était demandé quelle fausse manœuvre il avait pu commettre, pourquoi ce stupide accident ? À quarante ans, les deux tiers de son existence consommés, que pouvait-il escompter du futur ? Il avait réalisé brutalement qu’aucun armateur ne ferait confiance à un estropié. Cette perspective l’avait entraîné dans un abîme d’angoisse et il évoquait avec nostalgie l’ambiance rassurante et familière de la Marie-Jeanneton.
    L’aube peinait à naître, une aube jaunâtre, malsaine, qui lui permit d’apercevoir Gilliatt, juché sur le garde-manger, des miettes accusatrices de pâté en croûte collées aux vibrisses.
    Corentin s’étira et se souvint de son rêve. Une fois encore, Clélia l’avait visité, inaccessible, transparente. L’unique femme qu’il eût aimée, l’unique femme qu’il n’eût pas possédée s’obstinait à le hanter. Les autres, filles de cuisine ou de joie offertes à ses appétits, s’effaçaient de sa mémoire dès qu’il s’en était rassasié. Il connaissait la cause de cette amnésie : seul un amour hors d’atteinte peut capter et retenir l’imagination d’un homme si longtemps.
    Il décida de sortir. Peut-être un voisin avait-il besoin d’assistance ? En dépit de sa misanthropie, il s’efforçait de maintenir des relations courtoises avec ses congénères puisqu’il avait volontairement circonscrit sa vie à cet étroit cercle de chaumières.
    Une averse cingla son visage, il vissa sa casquette, scruta le ciel qui virait au gris, puis il poussa la porte de l’écurie. La queue et la crinière de Flip furent hérissées par une rafale. Une clique de souris occupée à festoyer parmi la paille
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