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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette
Autoren: Claude Izner
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débris d’une caisse. Une assiette de soupe tiède entre les mains, il s’assit au coin de l’âtre. À ses pieds, Gilliatt lapait un restant de panade. Le va-et-vient de sa langue rose suscita en lui un stimulus sensuel. Il se remémora un autre songe : une ondine lui tendait les bras, elle était nue, une aura bleutée nimbait sa chevelure de jais.
    Que lui arrivait-il ? C’était la première fois en vingt ans qu’il était à ce point obsédé. Honteux de se comporter en adolescent romanesque, il se leva et s’apprêtait à gravir l’échelle de meunier quand il discerna un objet sous le sommier Il se baissa et ramassa le sac de la femme. Le balai de la mère Guénéqué manquait d’assiduité.
    Il alluma une chandelle et monta au grenier. Indécis, il considéra sa trouvaille. L’ouvrir ? C’était prendre le risque de s’attacher à celle dont il venait de se libérer. Il s’était résigné à ne jamais quitter ce lieu où ses modestes économies jointes à la rente de son oncle lui assuraient l’indépendance, presque la richesse. Il jouissait d’une paix entière puisque nulle épine n’écorchait son cœur, et que, quasiment insensible à la fréquentation de ses semblables, il ne s’inquiétait que de la santé d’un cheval et d’un chat.
    « Est-elle mariée ? »
    N’y tenant plus, il s’empara du sac. Le cuir avait protégé un carnet, un portefeuille rembourré et une liasse de lettres empaquetés dans une triple épaisseur de toile cirée. Par quoi commencer ? Il s’attaqua à une enveloppe beige gondolée et en tira un cahier bleu aux pages couvertes d’une fine écriture. Il s’installa sur le lit de sangle et entama une lecture qu’il fut incapable d’interrompre.
    Au matin, il rangea le cahier où il l’avait pris et s’approcha de la fenêtre. Un timide rayon de soleil dessinait dans la cour l’ombre découpée de la cheminée. Entre deux pans de mur, il apercevait la mer, unie comme un miroir. Il la contempla un moment, la pipe aux dents, absorbé par ses pensées. L’horizon dégagé lui parut être un présage favorable, il décida d’apporter le sac aux religieuses.
    On lui apprit qu’après une période d’incertitude la femme apparaissait, selon le docteur, être hors de danger, elle se nommait Sophie Clairsange. Un marin de l’Eagle avait déposé sa malle, emplie de très belles toilettes. La pauvrette était toujours fragile, mais avait réussi à avaler deux ou trois bouchées. Désirait-il lui parler ?
    Il conjura la novice de ne pas révéler son identité si par hasard Sophie Clairsange s’enquérait de lui. Surprise, la jeune sœur promit.
    Il se sauva. À Urville, il acheta La Lanterne manchoise fraîchement imprimée. Un article à la une relatait l’accident de la goélette qui n’avait fait aucune victime. Par ailleurs, on déplorait que de gros arbres aient été déracinés à Cherbourg, où les travaux de fermeture des passes étaient sérieusement endommagés.
    Il retourna se cloîtrer chez lui.
    Mercredi 10 janvier
    — Et c’te lessiveuse ? grogna la mère Guénéqué en constatant qu’il ne lui avait pas obéi.
    Sans répondre, il grimpa à l’étage. Où l’avait-il fourrée ? Ah oui, sous le lit. Il saisit une boîte de copeaux dont il ôta le couvercle. Elle contenait quatre cent vingt francs, somme grâce à laquelle il comptait subvenir à ses besoins. Voyons, le trajet en troisième classe aller-retour coûtait moins de quarante francs. La course à Cherbourg ne le délesterait que d’une pièce, Landry serait ravi de cette aubaine qu’il irait illico dépenser dans un des bistrots du port. Il s’agirait de louer un meublé abordable – vingt francs par mois seraient-ils suffisants ? – et de rogner sur les repas. Par chance, il était doté d’un appétit frugal.
    Paris ! Un espace bruyant, un continent surpeuplé aussi mystérieux que l’océan, il pourrait s’y perdre.
    Il empocha l’argent, bourra de linge un havresac et redescendit, traînant la lessiveuse.
    — Mère Guénéqué, je vais m’absenter quelques semaines, une affaire urgente à Paris. Dès que j’aurai une adresse, je vous l’enverrai, il vous sera loisible de me contacter en cas de problème.
    — C’est que j’sais point écrire, ni lire.
    — Vous prierez les sœurs de vous assister.
    — Ça m’étonne de vous, m’sieu Corentin. V’là biau temps qu’vous vous éloignez guère plus de vot’cambuse qu’un lapin
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