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Le sang des Dalton

Le sang des Dalton

Titel: Le sang des Dalton
Autoren: Ron Hansen
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pas part. Lors du charivari qui s’ensuivit quand certains prisonniers ouvrirent les portes de toutes les cellules et se fuitèrent par une cage d’ascenseur, je lus toute la nuit The Virginian [9] allongé sur mon lit dans ma cellule personnelle. J’en fus récompensé en devenant le premier condamné à perpétuité autorisé à occuper un emploi en ville sous tutelle pénale. Et en 1907, l’année où l’Oklahoma devint le quarante-sixième État du pays, je fus gracié par E. W. Koch, le gouverneur du Kansas, après avoir purgé une peine de moins de quinze ans.
    J’avais trente-cinq ans, je boitais d’une jambe et j’avais salement besoin de travail, aussi ai-je pris pension chez une famille de Bartlesville et proposé mes services en tant qu’ouvrier dans les fermes locales, pour désherber, botteler du foin ou conduire une moissonneuse. Le soir et le dimanche, je faisais la cour à Julia Johnson, comme quand j’étais jeune homme. Je jouais de l’harmonica, assis avec elle sur la balancelle de la véranda, je l’accompagnais au cinéma en ville pour voir un vaudeville ou un film sur une attaque de train et, le midi, elle me rejoignait à dos de jument à travers les rangs de maïs, puis, adossé à un piquet de clôture, en salopette bleue, je mangeais des tranches de pomme à même la lame de mon canif et je buvais du thé tiède dans une cruche en souriant à mes chaussures pendant que Julia faisait la conversation.
    Nous nous sommes mariés à Bartlesville en 1908 et deux ans plus tard, j’ai été embauché comme agent spécial par les services de police de Tulsa afin de terrifier les mauvais garçons locaux à l’annonce que l’un des légendaires Dalton était dans les parages. Puis mon épouse et moi avons déménagé plus à l’Ouest, à Los Angeles, où John Tackett et moi avons tourné Par-delà la loi et où, le dimanche, après l’office, Julia et moi avons pris l’habitude de pique-niquer sur la plage  – Julia retroussait sa robe pour aller patauger dans l’océan et moi, assis dans le sable en costume et cravate, je regardais les enfants débourser quelques cents pour monter un cheval dans un manège délimité par des cordes à côté d’une Ford Model A.
    Mon film me valut quelques contrats de scénariste à Hollywood et ressuscita mon nom, ce dont je tirai parti en tant qu’agent immobilier et entrepreneur en bâtiment lors de la ruée vers la Californie. Il ne me fut guère nécessaire de faire de la publicité. Le responsable des prêts se levait en souriant derrière son bureau dès que je pénétrai dans une banque et des hommes d’affaires par ailleurs raisonnables m’écoutaient baratiner pendant des déjeuners entiers, captivés. Un lotissement en banlieue de Los Angeles me rapporta plus que toutes mes années passées à voler des chevaux et à dévaliser des trains et j’investis cet argent dans la construction d’une villa blanche évoquant fortement celles des parvenus d’Argentine, avec des sols carrelés rouges, un ventilateur au plafond dans la salle de billard et une allée gravillonnée bordée de fleurs orange aux corolles grosses comme des bouilles de gosses.
    Il n’y a pas si longtemps, ma femme et moi sommes retournés à Coffeyville, au Kansas, pour une seconde lune de miel, après quoi John B. Tackett nous a invités à nouveau et la chambre de commerce nous a payé des billets de première classe en voiture Pullman à bord d’un train Zéphyr d’Union Pacific. J’ai donc fumé pendant trois jours des cigarettes à la fenêtre de la voiture salon, en contemplant les Badlands, les fermes pouilleuses dont les machines agricoles rouillaient sur des parpaings et les journaliers qui s’arrêtaient encore pour suivre les trains des yeux, debout sur le marchepied de leur pick-up. Puis nous avons emprunté la Santa Fe en direction du sud et Julia et moi avons pris le petit déjeuner dans la voiture-restaurant, en fixant les champs de blé du Kansas, d’un vert pareil à celui de craies de couleur pour enfants. Un porteur qui poussait un chariot à bagages dans l’allée a annoncé : « Prochain arrêt, Coffeyville. » Je me suis versé du café, j’ai lentement mélangé le sucre et pendant quelques minutes, Julia et moi sommes demeurés face à face, silencieux, tel un couple qui meurt à petit feu d’un très long mariage, détaillant par les fenêtres les granges penchées, une Ford Model T rouillée à côté d’un tracteur avec des
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