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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau
Autoren: Marie Bourassa
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l’absence du bourreau.
    Après la danse, l’Écossais salua et s’épongea le front avant de s’approcher de son hôtesse, dans le but avoué de lui présenter les politesses d’usage.
    — Très chère Jehanne ! dit-il en pressant entre les siennes ses deux mains opalines.
    Il lui sourit affectueusement. Chacun fit semblant de ne pas remarquer leurs regards qui s’accrochaient l’un à l’autre, altérés. Il était après tout son plus vieil ami. Son seul ami. Aucun de ceux du village ne venait plus la voir.
    Mais Sam se reprit. Il libéra les mains de Jehanne et recula.
    — Nous voici donc, mon compagnon Iain et moi, recrus de fatigue après nous être portés à la défense du « Tristemare (11)  », clama Sam bien haut en gonflant le torse.
    Il poursuivit :
    — Nous sommes affamés de la sollicitude de vieux amis et des apaisants touchers de la belle maîtresse du logis. Dans notre bagage, nous ne ramenons ni fortune ni titres, seulement nos alpargates* et notre homespun* usés. Mais nous sommes désormais fervêtus* par l’intérieur. Nous serons bientôt les défenseurs de la foi, les bras vengeurs de la justice et les boucliers des opprimés. Tels que vous nous voyez, nous nous sentons déjà l’âme de chevaliers. L’idéal chevaleresque est devenu notre seule quête !
    Il leva son flacon sous les acclamations, les rires attendris d’Iain et le rougissement de Jehanne.
    — J’ai pour preuve cette jeune fille qui, selon la légende de Perceval, n’a pas ri depuis plus de six ans et qui ne rit à nouveau qu’au moment où elle fit la rencontre d’un homme promis à la plus haute chevalerie.
    Il regarda du côté de Jehanne. Le père Lionel, qui avait accepté une écuelle de cidre chaud, trinqua avec eux et dit :
    — Ah, voilà qui est fort bien, mais, dis-moi, Samuel, as-tu rencontré un seul chevalier, quelque part sur cette terre corrompue, qui soit parvenu à faire siennes toutes ces admirables vertus ?
    — Euh… il ne me semble pas en avoir vu, non.
    Tous s’esclaffèrent, y compris Sam lui-même, qui se justifia :
    — Eh quoi ! Il est toujours permis d’en rêver, à cet idéal chevaleresque, puisque nul jamais ne pourra l’atteindre.
    — Effectivement. Car, s’il était atteint, ce ne serait plus un idéal, fit remarquer Lionel, stimulé par cette discussion qui promettait.
    Le sujet était lancé, et tout le monde y alla de sa repartie. On prit place qui sur des bancs ou une escabelle, qui sur des coffres, pour bavarder. La conversation dériva assez rapidement en direction de la guerre, et l’on oublia bien vite les chevaliers de légende dans leur armure rutilante. Margot fit circuler des gobelets d’hypocras* accompagnés de fruits secs. Sam profita de l’occasion pour aller s’asseoir auprès de Jehanne.
    — Ça n’a pas l’air d’aller, toi, dit-il.
    — Tu trouves ? Mais à quoi vois-tu ça ?
    Il leva les yeux vers la porte de la cuisine qui était toujours fermée. Jehanne dit :
    — Ne te fais pas d’idées, Sam. Nous allons bien.
    — Ouais. J’ai vu en Espagne un homme qui lui ressemblait un peu. Le genre d’homme qui se délecte de sang et de malheur.
    — Tu veux parler de Pèdre de Castille, n’est-ce pas ?
    — Tout juste. Il était peut-être riche, mais pour la cruauté, oui, c’est pareil. Sa femme, cette malheureuse Blanche, qui était la belle-sœur du roi de France, tu te souviens qu’il l’a empoisonnée ?
    — Comment l’oublier ?
    — C’était un satrape*. Et lui aussi avait une prédilection pour des hardes noires. La seule différence, c’est que les siennes étaient en velours.
    — Mais, Sam, tu sais bien que ces vêtements austères sont une obligation reliée à son office.
    — C’est un seigneur des ténèbres, et j’ai peur pour toi. Tu n’es pas bien.
    Jehanne soupira. Comment essayer de le convaincre, lui ou un autre, que Louis n’était ni un sorcier ni Burgibus* ? De tout temps, la croyance populaire avait assimilé les bourreaux à des maléfices, et Louis ne simplifiait pas les choses, puisqu’il exploitait habilement cette croyance.
    Jehanne regarda à son tour la porte qui demeurait obstinément close.
    — Il ne sort pas, dit-elle.
    — Les corbeaux n’aiment pas les réjouissances.
    — Ne dis pas ça. Tu le connais mal.
    — Et toi, ma Jehanne, est-ce que tu le connais ? Le connais-tu vraiment ?
    Jehanne baissa piteusement la tête. Sam la regardait intensément, avec
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