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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau
Autoren: Marie Bourassa
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une avidité qu’il n’avait jamais eu envie de refréner.
    — Non, admit-elle.
    — L’aimes-tu ?
    — Arrête, Sam. Je suis très contente de te voir, mais, si tu es revenu pour essayer de tout remettre en question, j’aime autant que tu t’en ailles.
    — Ça non. Tu te défends trop, Jehanne, et je ne te lâcherai pas comme ça. Réponds-moi… Je t’en prie.
    Elle était piégée dans une impasse. Il valait mieux qu’elle lui dise la vérité qu’il exigeait avec tant d’ardeur, pour ne pas qu’il se méprenne sur son hésitation à lui répondre. Mais, Dieu ! qu’elle avait peur de le perdre à nouveau, et cette fois à tout jamais !
    — L’aimes-tu, Jehanne ? demanda encore Sam.
    — Je le vénère, dit-elle tout bas, avec dans la voix une tonalité recueillie qui ne pouvait démentir le sens profond de ses paroles.
    Sam rejeta légèrement la tête en arrière pour l’appuyer contre le mur de planches blanchies qui se trouvait derrière eux. Jehanne, elle, suivit des yeux son index fin qui parcourait distraitement le tracé des volutes de vigne brodées sur son giron. Et elle dit :
    — Mais j’essaie de le comprendre et je n’y arrive pas.
    — À quoi bon essayer, ma mie ? Il n’y a rien à comprendre. Il est creux comme un arbre mort. Que Seanair* l’ait aimé me dépasse. Lui-même disait qu’il souffrait du mal de saint Acaire*. Dis-moi, Jehanne. Est-ce qu’il…
    Le jeune homme ne put terminer sa question et se contenta de lui prendre les mains. Jehanne comprit et répondit :
    — J’ai l’impression d’embrasser non pas un homme, mais l’effigie d’un homme. Il est inaccessible.
    — Comme tous les tyrans. Il ne vit pas. Il existe. Tiens, pense un peu à Philippe le Bel.
    — Tu viens tout juste de le comparer à Pèdre, et maintenant c’est Philippe le Bel.
    — Non, mais écoute. On a dit de lui qu’il n’était ni un homme ni même une bête, qu’il était une statue. Voilà. Il est trop assommant. Il n’a vraiment rien à dire, cet homme-là.
    — À-t-on tant besoin de parler, Sam ?
    Il n’insista pas et porta à ses lèvres le gobelet d’hypocras* dont il venait de découvrir la présence dans sa main. Ils portèrent une attention de principe à la discussion qui déjà promettait de tourner en prise de bec amicale. Les esprits s’échauffaient et repoussaient dehors la maussaderie hivernale.
    On en était à discuter de la bataille de Najera lorsque Jehanne se tourna de nouveau vers Sam pour dire, comme s’il n’y avait pas eu de pause :
    — Je le sais aussi bien que toi, qu’il aurait dû se tenir à mes côtés pour vous accueillir. Mais il est contrarié, et ça, tu ne peux pas lui en faire reproche. Pourtant, j’ai appris à son sujet des choses que toi, tu ignores. Je sais ce qu’il est en train de faire de l’autre côté de cette porte. C’est sa façon à lui de vous accueillir. Il fait de son mieux, Sam.
    — Et qu’est-il en train de faire ?
    Jehanne sourit.
    — Du pain.
    — Quoi, du pain ? demanda Sam en haussant les épaules avec un soupçon d’impatience.
    — Sam, tu ne t’en souviens donc pas ? Faire le pain est une sorte de passion pour lui. C’est lorsqu’il travaille à la cuisine qu’il m’arrive de le comprendre.
    — Ouais, ça peut se concevoir lorsqu’on pratique un métier qui consiste à faire frire des gens tout vifs dans l’eau, l’huile, la résine, le soufre ou je ne sais quoi d’autre.
    Jehanne se leva et le quitta brusquement, sans dire un mot de plus, l’abandonnant à son amertume et à son gobelet d’hypocras*.
    — Il t’a envoûtée, dit-il assez fort pour faire baisser le ton aux autres.
    Jehanne ne se retourna pas et disparut dans la cuisine.
    Pendant ce temps, l’Écossais s’était redonné contenance grâce à un petit air accompagné au rebec* qu’Iain avait mis de côté sur un coffre.
    — N’est-ce pas là un air sur Pèdre de Castille ? demanda Thierry.
    Sam fit couiner douloureusement le rebec*.
    — Ouais, et nous avons amplement de quoi nous en inspirer.
    Il reposa l’instrument là où il l’avait pris, se leva et s’apprêta à endosser sa cotte.
    — Veuillez m’excuser un instant, dit le père Lionel, interrompant une fascinante discussion à propos de la tour qui venait d’être achevée à Pise pour rattraper Sam avant qu’il ne mît le pied dehors.
    — Samuel, pourrais-je te parler ?
    Il eût été malséant de refuser, même si le
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