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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau
Autoren: Marie Bourassa
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charge des rares affaires de justice. Pour eux, il était une espèce de seigneur. Mais, comme les gens en général avaient assez peur de lui, ils avaient plutôt tendance à régler entre eux leurs conflits, et cela malgré le fait que Louis s’était toujours montré très juste à leur égard.
    — En effet, je le crois capable de spontanéité, de créativité, de solidarité, voire d’amour. J’ai jadis perçu ce même grand amour, ce sentiment de sécurité et de complicité qu’éprouvait le garçon qu’il fut avec Adélie, sa mère.
    Il rentra frileusement les mains dans ses manches.
    — Comment ne pas ressentir un courant de pitié et de communion irrésistible, absolue, pour cet être éprouvé ? J’ai la conviction intime qu’il ne peut exister d’homme complètement mauvais, même s’il détient un potentiel d’inhumanité par l’effet même de son humanité.
    La porte s’ouvrit brutalement sur la grande silhouette noire qui rentrait une brassée de bois. Louis se tint un instant sur le seuil et leur jeta un regard soupçonneux.
    — Sortir fendre du bois comme ça sans éclairage, alors que nous en avons déjà assez, quelle imprudence ! dit Margot qui le suivait avec sa lanterne et son panier.
    — J’y voyais bien assez.
    Il s’avança vers le foyer près duquel il laissa tomber les bûches qu’il entreprit d’empiler sans dire un mot.
    — Bonjour, mon fils, dit Lionel en souriant au dos du géant.
    — Du bon bouilleux* chaud, voilà ce qu’il nous faut à tous, dit la servante en se mettant au travail. Le temps d’en mettre à chauffer et j’accours pour l’office.
    Pendant que Margot s’affairait, Hubert, Thierry, Toinot et Blandine se manifestèrent à leur tour. En étouffant leurs bâillements, ils se réunirent dans la grande pièce pour descendre à l’église du village assister à l’office quotidien.
    Au retour, tout le monde put s’attabler et déjeuner.
    — Savez-vous quel jour nous sommes, mon fils ? demanda Lionel innocemment.
    — Non. Mais je suppose que c’est important !
    — En effet, on ne peut rien vous cacher. Nous allons célébrer le premier dimanche de l’Avent et j’envisage quelques préparatifs, dit le moine dont les yeux rieurs scintillaient.
    Cela signifiait donc que l’escapade en forêt était remise. Louis maugréa à peine afin de ne pas se montrer trop grossier, puisqu’il s’agissait d’une fête religieuse.
    Le bouilleux*, pour Jehanne, avait une amertume tout à fait incompatible avec sa belle couleur dorée.
    *
    Hiscoutine, janvier 137 1 (5)
    Il existait deux types de meuniers : ceux d’eau douce qui, assourdis par la rumeur de l’eau et le tic-tac de la meule, ne chantaient pas, et ceux qui veillaient sur les moulins à vent. Ceux-là chantaient à gorge déployée. Du moins c’était ce que les gens disaient.
    Hubert n’était guère du genre à chanter. Cet homme mince et vieillissant était d’une nature plutôt introvertie et, même s’il était fier de ses mains abîmées par les meules, il avait tendance à laisser les extravagances aux autres.
    Pourtant, quelques jours après la Nativité, il revint du moulin plus tard que d’habitude et en chantant à tue-tête, si bien qu’on pouvait l’entendre depuis la maison. Deux autres voix s’ajoutaient à la sienne, accompagnées d’un rebec*, d’un fifre*, d’un tambourin et d’une clochette que l’on agitait rythmiquement :
    Here we come awassailing
    Among the leaves so green ;
    Here we come anwandering
    So fair to be seen (6) .
    — J’y vais, dit Toinot aux autres qui, partagés entre l’amusement et l’inquiétude, écoutaient les chanteurs.
    Il accourut à la porte et l’ouvrit. Il les regarda approcher, puis tourna la tête pour annoncer aux habitants du manoir :
    — Je ne sais pas qui c’est qui rapplique. Hubert nous ramène deux gars. Chacun porte une fardelle* et un faux-visage*.
    Encadré de deux visiteurs qu’il accompagnait, en tenant un bras dessus, bras dessous, tandis que l’autre jouait de son rebec* guilleret, Hubert tâchait de suivre leur chant :
    Love and joy come to you,
    And to you your wassail too,
    And God Mess you
    And send you a happy new year (7)  !
    L’un des deux hommes passait son temps à ajuster, par-dessus sa fausse chevelure hirsute, un bonnet indiscipliné qui refusait avec obstination de lui protéger les oreilles. L’autre portait une calette* en tiretaine*.
    Louis, qui jusque-là avait été
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