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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau
Autoren: Marie Bourassa
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accrochée au-dessus du feu.
    — Bon, il faut que j’aille quérir les œufs, dit Margot d’une voix mal assurée, tout en s’efforçant d’examiner Jehanne à la dérobée.
    Elle se couvrit d’un long châle. Le son atténué d’une hache fendant du bois parvint à leurs oreilles. Margot quitta la pièce en emportant une lanterne et un panier vide couvert d’un linge propre.
    Lionel et Jehanne se retrouvèrent seuls. Il vint prendre place devant elle. « Cette coiffe la vieillit trop. On dirait une guimpe*. Ma belle perle abritée de la lumière dans son écrin fané », se dit l’homme avec lassitude, sans penser que ses propres cheveux, courts et raides autour de la petite tonsure, étaient devenus grisâtres comme s’ils avaient été saupoudrés de cendres ineffaçables pour un long carême.
    Il avait, depuis un certain temps déjà, cessé de reconnaître sa Jehanne en cette étrangère qui se laissait de plus en plus glisser par mimétisme dans son rôle de maîtresse de maison exemplaire n’ayant d’autre souci que le confort des siens, et dont la personnalité effacée ne causait jamais aucun remous. Depuis quatre ans, il y avait eu trop de nuits misérables qui s’étaient écoulées goutte à goutte dans une solitude tourmentée. Toutes, elles succédaient à des journées sans histoires qui n’avaient plus rien de commun avec les embrasements de son adolescence. L’âme de la jeune femme devait, pour la première fois, s’efforcer de survivre. Presque vingt ans – toute sa vie – qu’elle devait consentir à abandonner derrière elle, bon gré mal gré, comme un bagage superflu, car il lui fallait essayer de tenir une heure… et une autre encore. Elle se languissait de Louis comme une plante se languissait du soleil de mai, avec lequel il n’avait aucune ressemblance. La veille au soir, pourtant, par la présence du floternel* noir suspendu à un clou à l’entrée, Jehanne avait eu le bonheur de voir qu’il était de retour. Elle dit, d’une voix qu’elle voulait insouciante :
    — L’hiver est si ennuyeux pour Louis. Il a bien besoin d’un peu d’air frais.
    Elle baissa la tête.
    — Va-t-il encore partir ? demanda Lionel doucement.
    — Je n’en ai pas la moindre idée. Vous savez que mon mari n’est pas un bavard.
    — Ça, non. Il s’est absenté deux semaines la dernière fois qu’il est allé en ville. Deux semaines pour une seule exécution.
    La jeune femme réprima un frisson de dégoût.
    — Je le sais pour lui avoir moi-même fait lecture de l’assignation, dit le moine.
    — Il avait sans doute beaucoup d’autres choses à faire là-bas : ce travail d’éboueur qu’ils exigent de lui, le havage*…
    — Jehanne, ce n’est pas cela et tu le sais aussi bien que moi.
    Elle leva vers lui un regard profondément triste. L’iris gris de ses yeux frémit comme les derniers pétales ternes oubliés sur leurs tiges par la bise maussade de novembre.
    — Que dois-je donc vous dire à propos de Louis, mon père, que vous ne sachiez déjà ? Nous sommes seuls tous les deux. Ou plutôt il est seul et je suis seule.
    — Il ne travaille pas le dimanche, au moins ? C’est que je suis un peu trop occupé ce jour-là pour être en mesure de le garder à l’œil. Pourtant, même un mécréant comme lui se doit de respecter au moins le jour du Seigneur.
    — Oh, pour cela je n’ai rien à dire. Je ne crois pas que ce soit le Seigneur qui l’ait convaincu, mais au moins il reste à la maison le dimanche. N’empêche que je peux sentir qu’il a hâte que cette journée-là soit passée. On dirait qu’il s’ennuie avec moi. Parfois, j’ai même hâte au lundi. Pas pour moi, bien sûr, pour lui.
    — Quel mufle !
    — Non, mon père. Il ne fait rien de mal. Il est tout à fait correct avec moi. Mais quand même… heureusement que nous sommes dimanche. J’aurai l’impression d’être une femme mariée pendant au moins une journée.
    — Il n’y a rien pour le retenir parmi nous plus longtemps que nécessaire, ni douceurs ni flatteries. Oh non, surtout pas de compliments. Je le sais, j’ai essayé de lui en faire à plusieurs reprises, tous véridiques, bien sûr. Mais à chaque fois il s’est défilé avec une admirable modestie. Soit il regardait ailleurs, soit il se trouvait soudain quelque besogne urgente à accomplir. J’ai bien vite renoncé à ce genre d’approche avec lui.
    — La modestie n’a rien à y voir, malheureusement. Je
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