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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau
Autoren: Marie Bourassa
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demanda Jehanne.
    — Oui et non.
    — Ce genre de réponse abstruse ne vous ressemble guère.
    — C’est sans importance, laissez.
    Fidèle à l’habitude qu’elle avait acquise assez rapidement après son mariage, Jehanne arriva presque à se persuader que son cœur n’était pas froissé par la brusquerie de Louis. « Il est fait ainsi, il parle de cette façon à tout le monde », ne cessait-elle de se répéter comme une patenôtre réconfortante.
    — Il y a quelque chose que je voudrais vous dire… Me promettez-vous de ne pas rire de moi ?
    — Oui, dit-il.
    — Vous m’avez manqué.
    Louis ne rit pas. Il y eut un silence, puis il dit :
    — Il fait froid. Restez au lit le temps que j’aille faire du feu. Jehanne n’osa pas désobéir ; il avait dans le regard cette lueur malsaine qui lui venait parfois au réveil, après une nuit trop agitée. Mieux valait alors le laisser tranquille. Comme elle le faisait toujours, de toute façon.
    — Voilà, je ne sais plus quoi faire, dit Jehanne avec résignation à la flamme d’or du chaleil* éclairant le dessous du baldaquin et qui était, hélas trop souvent, sa seule compagnie.
    Même les chats lui manquaient, dans le lit. Leur absence était survenue tout naturellement dès que Louis était venu dormir avec elle.
    Elle se blottit à nouveau sous les épaisses couvertures après avoir remis les courtines en place. L’aigre vent nocturne, au goût de salaisons, n’était pas encore tombé. Il mugissait comme une bête traquée, incitant à une proximité chaste sous une même courtepointe, au coin du feu. Juste pour le plaisir de se trouver là, en sécurité entre les bras de son homme, et de pouvoir se gaver de sa présence. Proximité dont elle devait la plupart du temps se passer.
    Louis avait quitté la chambre conjugale où persistait un peu de la tiédeur de leur propre foyer presque éteint. Le creux que Louis avait laissé dans le lit trop vaste avait retenu pour Jehanne un peu de l’odeur de son mari, ce mélange de terre boisée et de savon domestique qu’elle aimait tant. Elle y enfouit son visage. Alors, perdue dans ses pensées et caressant les carreaux* délaissés, encore tièdes, elle put enfin se permettre d’aimer son mari. Son Louis. Celui dont l’étreinte trop rare constituait le meilleur des abris. Elle songea à sa grosse patte d’ours possessive lui enserrant la nuque. C’était là sa caresse, un geste tout simple qu’elle ressentait comme un envoûtement. Et, pendant qu’il était là, celui qu’elle aimait, elle se délectait de ses rares paroles et de son visage grave qui n’était pas fait pour sourire. Elle caressait son dos et ses bras noueux et laissait ses doigts folâtrer dans sa chevelure sombre. Pendant un instant, avec ces doux fantasmes, elle parvenait à oublier la crainte que Louis suscitait et la domination physique absolue qu’il exerçait sur elle. Le moindre geste de spontanéité de la part de sa jeune épouse entraînait la plupart du temps un comportement agressif hors de proportions où ordres et gestes menaçants remplaçaient sans transition des caresses ensorcelantes. Sciemment ou non, il ne l’autorisait pas à oublier ce qu’il était. Jehanne devait donc s’abstenir le plus possible de lui manifester trop ouvertement son affection.
    Un bon feu ronflait dans l’âtre de la grande pièce que Louis s’était mis à arpenter nerveusement sans s’apercevoir qu’il bousculait des objets. La futaie était invitante en cette journée qui promettait d’être douce et neigeuse. Un temps idéal pour aller y faire un peu de coupe.
    — Maître, c’est vous ?
    La grosse Margot descendait l’escalier en hâte, un bougeoir à la main. Louis repoussa un petit banc contre le mur avec impatience.
    — Vous êtes souffrant ? demanda la servante.
    — Non. J’ai faim. Prépare le déjeuner.
    — Mais le père Lionel ne s’est pas encore levé pour l’office.
    — Ah oui, l’office. J’oubliais.
    Sur ce, il endossa son floternel* et disparut dans la nuit encore noire, plantant là une Margot perplexe. Jehanne quitta à son tour la chambre conjugale et chercha son mari du regard.
    — Il est sorti, lui dit Margot. Tout va bien, ma tourterelle ?
    — Oh, oui, ça va. Oui…
    La jeune femme vint s’asseoir à table afin de se chauffer au feu allumé par Louis. La servante l’y rejoignit, de même qu’un père Lionel encore un peu égaré. Une bouilloire avait été
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