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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer
Autoren: Maurice Druon
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s’écria
d’Artois. Tout juste ce qu’il nous faut. Un peu lourd pour être parure de dame,
un peu léger pour moi, à qui une giberne sied mieux qu’une bougette [2]  ; voilà bien
l’objet qu’un jouvenceau de cour rêve de s’accrocher à la ceinture pour se
faire valoir…
    — Vous allez commander au
marchand Albizzi, deux autres aumônières semblables, dit Isabelle à sa
suivante, et le presser de me les envoyer.
    Puis, quand la dame de parage fut
sortie, elle ajouta :
    — Ainsi pourrez-vous, mon
cousin, les rapporter en France.
    — Et nul ne saura qu’elles
auront passé par mes mains.
    On entendit du bruit à l’extérieur,
des cris et des rires. Robert d’Artois s’approcha d’une fenêtre. Dans la cour,
une équipe de maçons était en train de hisser une lourde clef de voûte. Des
hommes tiraient sur des cordes à poulies ; d’autres, juchés sur un
échafaudage, s’apprêtaient à saisir le bloc de pierre, et tout ce travail
semblait s’exécuter dans une extrême bonne humeur.
    — Eh bien ! dit Robert
d’Artois, il paraît que le roi Edouard aime toujours la maçonnerie.
    Il venait de reconnaître, parmi les
ouvriers, Edouard II, le mari d’Isabelle, assez bel homme d’une trentaine
d’années, aux cheveux ondulés, aux larges épaules, aux hanches souples. Ses
vêtements de velours étaient souillés de plâtre.
    — Il y a plus de quinze ans
qu’on a commencé de rebâtir Westmoutiers ! dit Isabelle avec colère.
    Comme toute la cour, elle prononçait
Westmoutiers pour Westminster, à la française.
    — Depuis six ans que je suis
mariée, reprit-elle, je vis dans les truelles et le mortier. On ne cesse de
défaire ce qu’on a fait le mois d’avant. Ce n’est pas la maçonnerie qu’il aime,
ce sont les maçons ! Croyez-vous seulement qu’ils lui disent
« Sire » ? Ils l’appellent Edouard, ils le moquent, et lui s’en
trouve ravi. Tenez, regardez-le !
    Dans la cour, Edouard II
donnait des ordres tout en s’appuyant à un jeune ouvrier qu’il tenait par le
cou. Il régnait autour de lui une familiarité suspecte.
    — Je croyais, reprit Isabelle,
avoir connu le pire avec le chevalier de Gaveston. Ce Béarnais insolent et
vantard gouvernait si bien mon époux qu’il s’était mis à gouverner le royaume.
Edouard lui donnait tous les joyaux de ma cassette de mariage. C’est décidément
une coutume dans nos familles que de voir, de façon ou d’autre, les bijoux des
femmes finir en parure d’hommes !
    Ayant auprès d’elle un parent, un
ami, Isabelle s’abandonnait à avouer ses peines et ses humiliations. En vérité,
les mœurs du roi Edouard II étaient connues de toute l’Europe.
    — Les barons et moi, l’autre
année, sommes parvenus à abattre Gaveston ; il a eu la tête tranchée et je
me réjouissais que son corps fût à pourrir chez les dominicains, à Oxford. Eh
bien ! J’en arrive, mon cousin, à regretter le chevalier de Gaveston, car,
depuis, comme pour se venger de moi, Edouard attire au palais tout ce qu’il y a
de plus bas et de plus infâme dans les hommes de son peuple. On le voit courir
les bouges du port de Londres, s’asseoir avec les truands, rivaliser à la lutte
avec les débardeurs, et à la course avec les palefreniers. Les beaux tournois,
en vérité, qu’il nous donne là ! Pendant ce temps, commande qui veut son
royaume, pourvu qu’on organise ses plaisirs et qu’on les partage. Pour l’heure,
ce sont les barons Despenser qui ont sa faveur, le père gouvernant le fils, qui
sert de femme à mon époux. Quant à moi, Edouard ne m’approche plus, et s’il lui
arrive de s’aventurer dans ma couche, j’en éprouve une telle honte que j’en
reste toute froide.
    Elle avait baissé le front.
    — Une reine est la plus
misérable des sujettes du royaume, si son mari ne l’aime point, ajouta-t-elle.
Il suffit qu’elle ait assuré la descendance ; sa vie ensuite ne compte
plus. Quelle femme de baron, quelle femme de bourgeois ou de vilain
supporterait ce que je dois tolérer… parce que je suis reine ! La dernière
lavandière du royaume a plus de droits que moi : elle peut venir me
demander appui.
    — Ma cousine, ma belle cousine,
moi, je veux vous servir d’appui ! dit d’Artois avec chaleur.
    Elle leva tristement les épaules,
comme pour dire : « Que pouvez-vous pour moi ? » Ils
étaient face à face. Il avança les mains, la prit par les coudes, aussi
doucement qu’il put, en
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