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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer
Autoren: Maurice Druon
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murmurant :
    — Isabelle…
    Elle posa les mains sur les bras du
géant. Ils se regardèrent et furent saisis d’un trouble qu’ils n’avaient pas
prévu. D’Artois semblait soudain étrangement ému, et gêné d’une force qu’il
craignait d’utiliser avec maladresse. Il souhaita brusquement dévouer son
temps, son corps, sa vie, à cette reine fragile. Il la désirait, d’un désir
immédiat et robuste, qu’il ne savait comment exprimer. Ses goûts ne le
portaient pas, ordinairement, vers les femmes de qualité, et il excellait peu
aux grâces de galanterie.
    — Ce qu’un roi dédaigne, faute
d’en reconnaître la perfection, dit-il, bien d’autres hommes en remercieraient
le ciel à deux genoux. À votre âge, si fraîche, si belle, se peut-il que vous
soyez privée des joies de nature ? Se peut-il que ces lèvres ne soient
jamais baisées ? Que ces bras… ce doux corps… Ah ! Prenez un homme,
Isabelle, et que cet homme soit moi.
    Il y allait assez rudement pour dire
ce qu’il espérait, et son éloquence ressemblait peu à celle des poèmes du duc
Guillaume d’Aquitaine. Mais Isabelle ne détachait pas son regard du sien. Il la
dominait, l’écrasait de toute sa stature. Il sentait la forêt, le cuir, le
cheval et l’armure. Il n’avait ni la voix ni l’apparence d’un séducteur, et,
pourtant, elle était séduite. Il était un homme, vraiment, un mâle rude et
violent, au souffle profond. Isabelle sentait toute volonté la fuir, et n’avait
plus qu’une envie : appuyer sa tête à sa poitrine de buffle et
s’abandonner… étancher cette grande soif… Elle tremblait un peu. Elle se
dégagea d’un coup.
    — Non, Robert, s’écria-t-elle,
je ne vais point faire ce que je reproche à mes belles-sœurs. Je ne le veux
pas, je ne le dois pas. Mais quand je songe à ce que je m’impose et me refuse,
alors que ces carognes, elles, ont telle chance d’être à des maris qui bien les
aiment… Ah ! Non ! Il faut qu’elles soient châtiées, fort
châtiées !
    Sa pensée s’acharnait sur les
coupables, faute de s’autoriser à être coupable elle-même. Elle revint
s’asseoir dans la grande cathèdre de chêne. Robert d’Artois la rejoignit.
    — Non, Robert, répéta-t-elle en
étendant les bras. Ne profitez point de ma défaillance ; vous me
fâcheriez.
    L’extrême beauté inspire le respect
autant que la majesté ; le géant obéit.
    Mais l’instant écoulé ne
s’effacerait plus de leur mémoire.
    « Je puis donc être
aimée », se disait Isabelle, et elle en éprouvait comme de la reconnaissance
pour l’homme qui venait de lui donner cette certitude.
    — Était-ce là tout ce que vous
aviez à m’apprendre, mon cousin, et ne m’apportez-vous pas d’autres
nouvelles ? dit-elle en faisant effort pour se reprendre.
    Robert d’Artois, qui se demandait
s’il n’aurait pas dû poursuivre son avantage, mit un temps à répondre.
    — Si, Madame, dit-il, j’ai
aussi un message de votre oncle Valois.
    Le lien nouveau qui s’était noué
entre eux donnait à leurs paroles une autre résonance, et ils ne pouvaient être
complètement attentifs à ce qu’ils disaient.
    — Les dignitaires du Temple
vont être jugés bientôt, continua d’Artois, et l’on craint fort que votre
parrain, le grand-maître Jacques de Molay, ne soit mis à mort. Monseigneur de
Valois vous demande d’écrire au roi pour l’inviter à la clémence.
    Isabelle ne répondit pas. Elle avait
repris sa pose coutumière, le menton dans la paume.
    — Comme vous lui ressemblez,
ainsi ! dit d’Artois.
    — À qui ?
    — Au roi Philippe, votre père…
    Elle leva les yeux et demeura
songeuse.
    — Ce que décide le roi mon père
est bien décidé, répondit-elle enfin. Je puis agir pour ce qui tient à
l’honneur de la famille, mais non pour ce qui touche au gouvernement du
royaume.
    — Jacques de Molay est un vieil
homme. Il fut noble et il fut grand. S’il a commis des fautes, il les a assez
expiées. Rappelez-vous qu’il vous a tenue sur les fonts du baptême… Croyez-moi,
c’est grand méfait qu’on va encore commettre là, et qu’on doit une fois de plus
à Nogaret et à Marigny ! En frappant le Temple, c’est toute la chevalerie
et les hauts barons que ces hommes sortis de rien ont voulu frapper.
    La reine demeurait perplexe ;
l’affaire visiblement la dépassait.
    — Je n’en puis pas juger,
dit-elle, je n’en puis pas juger.
    — Vous savez que j’ai
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