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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer
Autoren: Maurice Druon
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dit ?
    — Il a frappé la table, Madame,
et il a dit : « Veux ! »
    Une expression d’orgueil passa sur
le beau visage d’Isabelle.
    — Conduisez-le devers moi,
dit-elle.
    Lady Mortimer sortit, toujours
courant, et revint un instant après, portant un enfant de quinze mois, rond,
rose et gras, qu’elle déposa aux pieds de la reine. Il était vêtu d’une robe
grenat, brodée d’or, et fort lourde pour un si petit être.
    — Alors, messire mon fils, vous
avez dit : « Je veux », dit Isabelle en se penchant pour lui
caresser la joue. J’aime que cela ait été votre premier mot : c’est parole
de roi.
    L’enfant lui souriait, en dodelinant
la tête.
    — Et pourquoi l’a-t-il
dit ? reprit la reine.
    — Parce que je lui refusais un
morceau de galette, répondit lady Mortimer.
    Isabelle eut un sourire vite effacé.
    — Puisqu’il commence à parler,
dit-elle, je demande qu’on ne l’encourage point à bégayer et prononcer des
niaiseries, comme on fait d’ordinaire avec les enfants. Peu importe qu’il dise
« papa » ou « maman », je préfère qu’il connaisse les mots
de « roi » et de « reine ».
    Elle avait dans la voix une grande
autorité naturelle.
    — Vous savez, ma mie,
continua-t-elle, quelles raisons m’ont fait vous choisir pour gouverner mon
fils. Vous êtes petite-nièce de messire Joinville le grand, qui fut à la
croisade auprès de mon aïeul Monseigneur Saint Louis. Vous saurez enseigner à cet
enfant qu’il est de France autant que d’Angleterre.
    Lady Mortimer s’inclina. À ce
moment, la première dame française revint, annonçant Monseigneur le comte
Robert d’Artois.
    La reine s’adossa, bien droite, à
son siège et croisa les mains sur la poitrine, dans une attitude d’idole. Le
souci d’être toujours royale ne parvenait pas à la vieillir.
    Un pas de deux cents livres ébranla
le plancher.
    L’homme qui entra avait six pieds de
haut, des cuisses comme des troncs de chêne, des poings comme des masses
d’armes. Ses bottes rouges, de cuir cordouan, étaient souillées d’une boue mal
brossée ; le manteau qui lui pendait aux épaules était assez vaste pour
couvrir un lit. Il suffisait qu’il eût une dague au côté pour avoir la mine de
s’en aller en guerre. Dès qu’il apparaissait, tout semblait autour de lui
devenir faible, fragile, friable. Il avait le menton rond, le nez court, la
mâchoire large, l’estomac fort. Il lui fallait plus d’air à respirer qu’au
commun des hommes. Ce géant avait vingt-sept ans, mais son âge disparaissait
sous le muscle, et on lui aurait donné tout aussi bien dix années de plus.
    Il ôta ses gants en s’avançant vers
la reine, mit un genou en terre avec une souplesse surprenante chez un tel
colosse, et se releva avant qu’on ait eu le temps de l’y inviter.
    — Alors, messire mon cousin,
dit Isabelle, avez-vous fait bonne traversée de mer ?
    — Exécrable, Madame,
horrifique, répondit Robert d’Artois. Une tempête à rendre les tripes et l’âme.
J’ai cru ma dernière heure venue, au point que je me suis mis à confesser mes
péchés à Dieu. Par chance il y en avait si grand nombre que le temps d’en dire
la moitié, nous étions arrivés. J’en garde assez pour le retour.
    Il éclata de rire, ce qui fit
trembler les vitraux.
    — Mais par la mordieu,
continua-t-il, je suis mieux fait pour courir les terres que pour chevaucher
l’eau salée. Et si ce n’était pour l’amour de vous, Madame ma cousine, et pour
les choses d’urgence que j’ai à vous dire…
    — Vous permettrez que j’achève,
mon cousin, dit Isabelle l’interrompant.
    Elle montra l’enfant.
    — Mon fils commence à parler
aujourd’hui.
    Puis à lady Mortimer :
    — J’entends qu’il soit
accoutumé aux noms de sa parenté, et qu’il sache, dès que se pourra, que son
grand-père Philippe est le beau roi de France. Commencez à dire devant lui le Pater et l’ Ave , et aussi la prière à Monseigneur Saint Louis. Ce sont choses
qu’il faut lui installer dans le cœur avant même qu’il les comprenne par la
raison.
    Elle n’était pas mécontente de
montrer à l’un de ses parents, lui-même descendant d’un frère de Saint Louis,
la manière dont elle veillait à l’éducation de son fils.
    — C’est bel enseignement que
vous allez donner à ce jeune homme, dit Robert d’Artois.
    — On n’apprend jamais assez tôt
à régner, répondit Isabelle. L’enfant s’essayait
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