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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer
Autoren: Maurice Druon
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hiérarchie
de l’Ordre plus haut qu’il n’eût jamais osé l’espérer, franchissant toutes les
dignités pour être enfin porté, par le choix de ses frères, à la fonction
suprême de grand-maître de France et d’Outre-mer, et au commandement de quinze
mille chevaliers.
    Et tout cela aboutissait à cette
cave, cette pourriture, ce dénuement. Peu de destins montraient une si
prodigieuse fortune suivie d’un si grand abaissement…
    Jacques de Molay, à l’aide d’un
maillon de sa chaîne, traçait dans le salpêtre du mur de vagues traits qui
figuraient les lettres de « Jérusalem », lorsqu’il entendit des pas
lourds et des bruits d’armes dans l’étroit escalier qui descendait à son
cachot.
    L’angoisse à nouveau l’étreignit,
mais cette fois motivée.
    La porte grinça en s’ouvrant ;
Molay aperçut, derrière le geôlier, quatre archers en tunique de cuir et la
pique à la main. Leur haleine s’épanouissait, blanche, autour de leurs visages.
    — Nous venons vous chercher,
messire, dit l’un d’eux.
    Molay se leva sans prononcer un mot.
Le geôlier s’approcha et, à grands coups de marteau et de burin, fit sauter le
rivet qui reliait la chaîne aux bracelets de fer dans lesquels étaient
enfermées les chevilles du prisonnier.
    Celui-ci serra sur ses épaules
décharnées son manteau de gloire, qui n’était plus maintenant qu’une guenille
grisâtre ; la croix, sur l’épaule, s’en allait en lambeaux.
    Dans ce vieillard épuisé,
chancelant, qui gravissait, les pieds alourdis par les fers, les marches de la
tour, il restait encore quelque chose du chef de guerre qui, de Chypre,
commandait à tous les chrétiens d’Orient.
    « Seigneur mon Dieu, donnez-moi
la force… » murmurait-il intérieurement ; donnez-moi un peu de force.
Et pour trouver cette force, il se répétait les noms de ses trois
ennemis : Clément, Guillaume, Philippe…
    La brume emplissait la vaste cour du
Temple, encapuchonnait les tourelles du mur d’enceinte, se glissait entre les
créneaux, ouatait la flèche de l’église de l’Ordre.
    Une centaine de soldats se tenaient
l’arme au pied, entourant un grand chariot ouvert et carré.
    Par-delà les murailles, on entendait
la rumeur de Paris, et parfois le hennissement d’un cheval s’élevait avec une
tristesse déchirante.
    Au milieu de la cour, messire Alain
de Pareilles, capitaine des archers du roi, l’homme qui assistait à toutes les
exécutions, qui accompagnait tous les condamnés vers les jugements et les
supplices, marchait à pas lents, le visage fermé par un grand air d’ennui. Ses
cheveux couleur d’acier retombaient en mèches courtes sur son front carré. Il
portait la cotte de mailles, une épée au côté, et tenait son casque au creux du
bras.
    Il se retourna en entendant sortir
le grand-maître, et celui-ci, l’apercevant, se sentit pâlir, si pâlir lui était
encore possible.
    D’ordinaire, pour les
interrogatoires, on ne déployait pas si grand appareil ; il n’y avait ni
ce chariot ni tous ces hommes d’armes. Quelques sergents royaux venaient quérir
les accusés pour les passer en barque de l’autre côté de la Seine, le plus
souvent à la nuit tombante.
    — Alors, c’est chose
jugée ? demanda Molay au capitaine des archers.
    — Ce l’est, messire, répondit
celui-ci.
    — Et savez-vous, mon fils, dit
Molay après une hésitation, ce que contient le jugement ?
    — Je l’ignore, messire ;
j’ai ordre de vous conduire à Notre-Dame pour en entendre lecture. Il y eut un
silence, puis Jacques de Molay dit encore :
    — Quel jour nous
trouvons-nous ?
    — Le lundi après la
Saint-Grégoire.
    Ce qui correspondait au 18 mars, le
18 mars 1314 [4] .
    « Est-ce à la mort que l’on me
mène ? » se demanda Molay.
    La porte de la tour s’ouvrit à
nouveau et, escortés de gardes, trois autres dignitaires apparurent : le
visiteur général, le précepteur de Normandie, le commandeur d’Aquitaine.
    Les cheveux blancs, eux aussi, la
barbe broussailleuse, le corps flottant dans leurs manteaux en haillons, ils
restèrent immobiles un moment, les paupières battantes, et pareils à de grands
oiseaux de nuit que la lumière empêche de voir.
    Ce fut le précepteur de Normandie,
Geoffroy de Charnay, qui, le premier, s’empêtrant dans ses fers, se précipita
vers le grand-maître et l’étreignit. Une longue amitié unissait les deux
hommes ; Jacques de Molay avait fait toute la carrière de
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