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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer
Autoren: Maurice Druon
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passants les os qui
leur étaient tombés du pied après les tortures. On avait vu, dans plusieurs
villes de France, mourir les chevaliers par dizaines sur les bûchers. On savait
que certaines commissions ecclésiastiques s’étaient refusées à prononcer les
condamnations, et qu’il avait fallu y nommer de nouveaux prélats, comme le
frère du premier ministre Marigny, pour accomplir cette besogne. On disait que
le pape Clément V lui-même n’avait cédé que contre son gré, parce qu’il
était dans la dépendance du roi, et qu’il avait craint de subir le même sort
que son prédécesseur, le pape Boniface, giflé sur son trône. Et puis, en ces
sept ans, le blé ne s’était pas fait plus abondant, le pain avait encore enchéri,
et il fallait bien admettre que ce n’était plus la faute des Templiers…
    Vingt-cinq archers, l’arc en
bandoulière et la pique sur l’épaule, marchaient devant le chariot, vingt-cinq
allaient sur chaque flanc, et autant fermaient le cortège.
    « Ah ! Si seulement il
nous restait un peu de force au corps ! » pensait le grand-maître. À
vingt ans, il eût sauté sur un soldat, lui eût arraché sa pique et eût tenté de
s’échapper, ou bien se fût battu sur place jusqu’à la mort.
    Derrière lui, le frère visiteur
marmonnait entre ses dents cassées :
    — Ils ne nous condamneront pas.
Je ne peux pas croire qu’ils nous condamnent. Nous ne sommes plus dangereux.
    Et le commandeur d’Aquitaine,
émergeant de son hébétude, disait :
    — C’est bonne chose de
sortir ; c’est bonne chose de respirer l’air frais. N’est-ce pas, mon
frère ?
    Le précepteur de Normandie toucha le
bras du grand-maître.
    — Messire mon frère, dit-il à
voix basse, je vois des gens pleurer dans cette foule et d’autres faire le
signe de la croix. Nous ne sommes point seuls dans notre calvaire.
    — Ces gens-là peuvent nous
plaindre, mais ils ne peuvent rien pour nous sauver, répondit Jacques de Molay.
Ce sont d’autres visages que je cherche.
    Le précepteur comprit l’espérance
ultime, insensée, à laquelle le grand-maître se raccrochait. Instinctivement,
il se mit lui aussi à scruter la multitude.
    Car, parmi les quinze mille
chevaliers du Temple, un nombre appréciable avaient échappé aux arrestations de
1307. Les uns s’étaient réfugiés dans les couvents, d’autres s’étaient défroqués
et vivaient clandestins, dans les campagnes ou les villes ; d’autres
encore avaient gagné l’Espagne où le roi d’Aragon, refusant d’obéir aux
injonctions du roi de France et du pape, avait laissé aux Templiers leurs
commanderies et fondé avec eux un nouvel Ordre. Il y avait ceux également que
certains tribunaux relativement cléments avaient confiés à la garde des
Hospitaliers. Beaucoup de ces anciens chevaliers, demeurés en liaison, avaient
constitué une sorte de réseau secret.
    Et Jacques de Molay se disait que
peut-être…
    Peut-être un complot s’était-il
monté… Peut-être qu’en un point du parcours, au coin de la rue des
Blancs-Manteaux, ou de la rue de la Bretonnerie, ou du cloître Saint-Merry, un
groupe d’hommes allait surgir et, sortant des armes de dessous leur cotte,
fondre sur les archers, tandis que d’autres conjurés, postés aux fenêtres,
lanceraient des projectiles. Avec une charrette, poussée en travers de la
chaussée, on pouvait bloquer la voie et compléter la panique…
    « Et pourquoi nos anciens frères
feraient-ils cela ? pensa Molay. Pour délivrer leur grand-maître qui les a
trahis, qui a renié l’Ordre, qui a cédé aux tortures…»
    Pourtant, il s’obstinait à observer
la foule, le plus loin qu’il pouvait, et il n’apercevait que des pères de
famille qui avaient hissé leurs petits enfants sur leurs épaules, des enfants
qui, plus tard, quand on prononcerait devant eux le nom de Templiers, ne se
souviendraient que de quatre vieillards barbus et grelottants, encadrés de gens
d’armes comme des malfaiteurs publics.
    Le visiteur général continuait de
parler tout seul, en chuintant, et le héros de Saint-Jean-d’Acre de répéter
qu’il faisait bon se promener matin.
    Le grand-maître sentit se former en
lui une de ces colères à demi démentes qui le saisissaient si souvent dans sa
prison et le faisaient hurler en frappant les murs. Il allait sûrement
accomplir quelque chose de violent et de terrible… il ne savait quoi… mais il
avait besoin de l’accomplir.
    Il acceptait sa
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