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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer
Autoren: Maurice Druon
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mort, presque comme
une délivrance ; mais il n’acceptait pas de mourir injustement, ni de
mourir déshonoré. La longue habitude de la guerre remuait une dernière fois son
vieux sang. Il voulait mourir en se battant.
    Il chercha la main de Geoffroy de
Charnay, son ami, son compagnon, le dernier homme fort qu’il eût à côté de lui,
et il étreignit cette main.
    Le précepteur de Normandie, vit, sur
les tempes creusées du grand-maître, les artères qui se gonflaient comme des
couleuvres bleues.
    Le cortège atteignait le pont
Notre-Dame.
     

III

LES BRUS DU ROI
    Une savoureuse odeur de farine, de
beurre chaud et de miel flottait autour de l’éventaire.
    — Chaudes, chaudes les
oublies ! Tout le monde n’en aura pas. Allez, bourgeois, mangez !
Chaudes les oublies ! criait le marchand qui s’agitait derrière un
fourneau en plein air.
    Il faisait tout à la fois, étalait
la pâte, retirait du feu les crêpes cuites, rendait la monnaie, surveillait les
gamins pour les empêcher de chaparder.
    — Chaudes les oublies !
    Il était si affairé qu’il ne
remarqua pas le client dont la main blanche laissa glisser une piécette de
cuivre, en paiement d’une crêpe dorée, croustillante et roulée en cornet. Il
vit seulement la même main reposer l’oublie dans laquelle on n’avait mordu
qu’une bouchée.
    — En voilà bien un dégoûté, dit
le marchand en tisonnant son feu. On leur en baillera : pur froment et
beurre de Vaugirard…
    À ce moment, il se releva et resta
bouche bée, son dernier mot arrêté dans la gorge, en apercevant le client
auquel il s’adressait. Cet homme de très haute taille, aux yeux immenses et pâles,
qui portait chaperon blanc et tunique demi longue…
    Avant que le marchand ait pu amorcer
une courbette ou balbutier une excuse, l’homme au chaperon blanc s’était déjà
éloigné, et l’autre, bras ballants tandis que sa nouvelle fournée d’oubliés
était en train de brûler, le regardait s’enfoncer dans la foule.
    Les rues marchandes de la Cité, au
dire des voyageurs qui avaient parcouru l’Afrique et l’Orient, ressemblaient
assez aux souks d’une ville arabe. Même grouillement incessant, mêmes échoppes
minuscules tassées les unes contre les autres, mêmes senteurs de graisse cuite,
d’épices et de cuir, même marche lente des chalands gênant le passage des ânes
et des portefaix. Chaque rue, chaque venelle, avait sa spécialité, son métier
particulier ; ici les tisserands dont on apercevait les métiers dans les
arrière-boutiques, là les savetiers tapant sur les pieds de fer, et plus loin
les selliers tirant sur l’alène, et ensuite les menuisiers tournant les pieds
d’escabelles.
    Il y avait la rue aux Oiseaux, la
rue aux Herbes et aux Légumes, la rue des Forgerons toute résonnante du bruit
des enclumes. Les orfèvres, installés le long du quai qui portait leur nom,
travaillaient devant leurs petits réchauds.
    On apercevait de minces bandes de
ciel entre les maisons de bois et de torchis, aux pignons rapprochés. Le sol
était couvert d’une fange assez malodorante où les gens traînaient, selon leur
condition, leurs pieds nus, leurs patins de bois ou leurs souliers de cuir.
    L’homme aux hautes épaules et au
chaperon blanc continuait d’avancer lentement dans la cohue, les mains derrière
le dos, insoucieux semblait-il de se faire bousculer. Beaucoup de passants,
d’ailleurs, s’effaçaient devant lui et le saluaient. Il leur répondait d’un
bref signe de tête. Il avait une carrure d’athlète ; ses cheveux blond
roux, soyeux, terminés en rouleaux, lui tombaient presque jusqu’au col,
encadrant un visage régulier et d’une rare beauté de traits.
    Trois sergents royaux, en habit
bleu, et portant au creux du bras un bâton sommé d’une fleur de lis, suivaient
ce promeneur à quelque distance mais sans jamais le perdre des yeux, s’arrêtant
lorsqu’il s’arrêtait, se remettant en marche en même temps que lui [6] .
    Soudain, un jeune homme en
justaucorps serré, entraîné par trois grands lévriers qu’il menait en laisse,
déboucha d’une ruelle et vint se jeter contre le flâneur, manquant de le
renverser. Les chiens se mêlèrent, hurlèrent.
    — Mais prenez donc garde où
vous cheminez ! s’écria le jeune homme avec un fort accent italien. Pour
un peu, vous tombiez sur mes chiens. Il m’aurait plu qu’ils vous mordissent.
    Dix-huit ans au plus, bien pris dans
sa petite taille, les yeux noirs
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