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Le Prisonnier de Trafalgar

Le Prisonnier de Trafalgar

Titel: Le Prisonnier de Trafalgar
Autoren: Robert Escarpit
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    On porta des brindes à la Révolution, à la République, à Bonaparte, à Toussaint Louverture, puis Hazembat demanda :  
    — Belle n’est pas ici ?  
    — Elle n’habite pas très loin : sur le chemin des Abymes. C’est là qu’elle vit avec mes petits-enfants.  
    — Elle a des enfants ?  
    — Quatre vivants sur six qu’elle a eus jusqu’ici. Céleste est un chaud lapin !  
    — Elle l’a épousé ? Que devient-il ?  
    — Il est sergent dans la compagnie du capitaine Gédéon, à Basse-Terre.  
    Leblond-Plassan revint seul à la chaloupe. Les soldats restaient à terre. Le lendemain, il emmena avec lui une autre escouade. Son second, l’enseigne Ouzanneau, l’accompagnait.  
    — Nous passerons la journée chez l’amiral, dit-il à Hazembat. Sois prêt à sept heures du soir.  
    Hazembat eut quelque mal à trouver le chemin des Abymes. C’était une venelle en bordure du marigot. Des cases de bois couvertes de palmes s’entassaient de part et d’autre d’un alignement de flaques où croupissait l’eau de la dernière pluie. N’eût été la luxuriance de la végétation et l’intensité de la lumière, cela aurait fait un peu songer à la misère du quartier des Carmes à Langon.  
    Un groupe de négrillons nus jouait dans la vase. Hazembat s’arrêta pour leur demander la maison de Belle Laprune. L’un d’entre eux qui pouvait avoir six ans, et dont la peau était plus claire que celle des autres, tourna vers lui des yeux vifs.  
    — C’est maman. Moi te montrer.  
    Il le conduisit jusqu’à une case un peu moins délabrée que les autres.  
    — Là !  
    Hazembat poussa la porte, cherchant à habituer ses yeux à la pénombre de l’intérieur.  
    — Belle !  
    Un froissement d’étoffe lui répondit, tout au fond de la pièce.  
    — Belle, tu es là ?  
    — N’approche pas !  
    La voix était plus profonde et plus rauque, mais il l’aurait reconnue entre mille.  
    — Belle, c’est moi, Bernard. Je suis venu te voir.  
    — Je sais, mon père m’a avertie, mais je ne veux pas que tu me voies.  
    — Pourquoi ?  
    — Je ne suis plus la Belle que tu as connue. Les filles changent vite ici, tu sais. Je préfère que tu te souviennes de moi comme j’étais quand tu es parti.  
    Il avançait à tâtons. Peu à peu, il commençait à distinguer une pièce plus propre et plus confortable qu’il n’aurait cru, à voir l’apparence extérieure de la maison. Tout au fond, sur une sorte de couche, il devinait une forme étendue. En même temps, les odeurs qu’il connaissait éveillèrent en lui un violent désir. Tendant la main, il toucha le contour d’une hanche. Il s’agenouilla, cherchant à percer l’ombre de l’angle où se dissimulait le visage. Lentement, il suivit la cuisse, puis, écartant la cotonnade, plaqua sa main sur la peau tiède et douce. Il l’entendit qui pleurait.  
    — Non, Bernard, non.  
    Il s’allongea près d’elle, cherchant ses lèvres. Sa main remonta jusqu’au ventre, puis trouva un sein volumineux dans lequel ses doigts s’enfoncèrent avec une frénésie qui redoubla son désir.  
    Elle avait cessé de pleurer. Leurs bouches se rencontrèrent et le corps étendu s’ouvrit comme une grande fleur sombre. Une longue vague noire les emporta sur un océan sans rivage. Longtemps après, ils se retrouvèrent côte à côte, nus et jeunes comme jadis sur la plage, dans la nuit.  
    La main de Belle toucha le cordonnet autour du cou d’Hazembat.  
    — Tu portes toujours ta cocarde ?  
    — Oui, toujours.  
    — Tu as donné la fleur de vanille à ta petite poulette ?  
    — Je l’ai donnée.  
    — Qu’y a-t-il là-dedans, maintenant ?  
    — Une boucle de ses cheveux.  
    Elle saisit la cocarde et, dans l’obscurité, la porta à ses lèvres.  
    — Elle sera heureuse. De tous les hommes avec qui j’ai fait l’amour, tu es le seul qui m’ait fait sentir que j’étais une femme.  
    Ils restèrent longtemps silencieux, leurs doigts seuls échangeant des caresses. Quand il émergea de sa torpeur, Hazembat s’aperçut qu’il avait laissé la porte entrouverte.  
    — Quelqu’un aurait pu entrer, dit-il.  
    — Non, Bernard monte bonne garde.  
    — Bernard ?  
    — Bernard-Toussaint, mon fils aîné. C’est lui qui t’a montré le chemin. Il t’attendait. Quand tu t’en iras, en passant, embrasse-le.  
    Il cherchait son regard dans l’ombre.
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