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Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs
Autoren: Michel Zévaco
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valant tout au plus deux cents ducats. J’ai couvert d’éloges Charles-Quint et j’attends encore sa réponse. Les temps sont durs, vous dis-je ! Ma garde-robe est en piteux état. J’en passai la revue ce matin au saut du lit. Savez-vous ce que j’ai vu ? Dites ! Parlez, fainéantes, savez-vous ce que j’ai vu ? De mes six pourpoints, l’un n’a plus d’aiguillettes, l’autre est déchiré aux jointures des crevés, un autre n’a plus de broderies ; il y a une grande tache d’huile à mon pourpoint de satin vert ; l’hermine de mon manteau d’hiver est toute dévorée ; mes hauts-de-chausses sont en piteux état. Et les plumes de mes toques, qu’en avez-vous fait ? Et mes trois justaucorps de laine qui ont des trous à y fourrer le poing ! Et mes huit jaquettes qui sont fripées comme si vous aviez dansé dessus ! Ah ! brigandes, vous me mettrez sur la paille ; je n’aurai bientôt plus un seul vêtement avec quoi j’ose me montrer en public. Jusqu’à mes chemises qui sont devenues de vraies loques ! Mais à quoi passez-vous le temps ? Dites-le un peu, osez le dire !… C’est bien, prenez garde ! Et pour commencer, je jette par la fenêtre le premier maure marchand de bijoux que vous aurez appelé. Je mets à la broche la première Egyptienne marchande d’écharpes à qui vous aurez fait signe. Je…
    – Bravo, Arétin ! ricana une voix. Bravo ! c’est ainsi que doit parler un maître, sage administrateur de ses deniers. »
    L’Arétin et les Arétines se retournèrent vivement et aperçurent Bembo qui, s’étant fait conduire par un valet, venait d’apparaître sans bruit.
    « Toi ! s’écria Pierre, dont le visage se dérida.
    – Moi qui viens m’inviter à ton déjeuner si tu veux bien de moi.
    – Par les saints ! Si je veux de toi ! Vous avez entendu, vous autres ! »
    Les Arétines firent à Bembo leur plus belle révérence et se précipitèrent vers les cuisines.
    « Qu’ont-elles donc aujourd’hui ? fit Bembo. Elles daignent me saluer.
    – Laissons cela et viens dans mon cabinet, nous y serons à l’aise pour causer. Quant aux Arétines, je t’assure qu’elles ont pour toi plus d’affection que tu ne penses, mais viens…
    – Tu sais, insista ironiquement Bembo, que tes antichambres sont pleines…
    – Des solliciteurs ! qu’ils aillent au diable !
    – Non pas. J’ai vu deux envoyés du Grand Turc.
    – Qu’ils attendent !
    – Une douzaine de jeunes seigneurs qui ont sans doute quelque sonnet à te soumettre.
    – Je n’y suis pas, tant que tu es là !
    – De plus, il m’a semblé reconnaître les armes de l’empereur sur le pourpoint d’une sorte de laquais.
    – Diavolo !… La réponse de Charles-Quint !…
    – Va voir.
    – Tu consens ? »
    Et l’Arétin se précipita. Dix minutes plus tard, Bembo entendit ses hurlements de fureur. L’Arétin rentra en faisant violemment claquer les portes.
    « Qu’y a-t-il ? fit le cardinal.
    – Le misérable ! se jouer de moi à ce point ! Ah ! il verra de quel bois je me chauffe et que roi de poésie vaut bien empereur des Allemagnes ! Quelle insulte ! Je n’en dormirai pas tant que je ne me serai vengé…
    – Mais, enfin, explique-moi…
    – J’ai écrit à Charles-Quint, moi Pierre Arétin, pour lui dire que je l’admirais. Sais-tu ce qu’il me répond ? Tiens, lis ! »
    D’une main tremblante d’indignation, l’Arétin tendit à Bembo la lettre que, depuis quelques minutes, il froissait dans ses mains.
    Bembo, froidement, défripa le parchemin et lut :
    Au seigneur poète Pierre d’Arezzo,
    L’empereur mon maître m’ordonne de vous écrire qu’il a reçu et daigné lire la poésie que vous lui avez adressée. L’empereur mon maître, dans sa haute magnanimité, a bien voulu m’ordonner de vous remercier, ce que je fais par la présente. En vous envoyant ce témoignage de la satisfaction de mon maître, j’ose ajouter, seigneur poète, l’assurance de l’estime en laquelle je vous tiens moi-même.
    SCHWETZER,
    Valet de chambre de S. M. l’Empereur et Roi.
    Bembo éclata de rire.
    « Eh bien ! fit-il, je ne vois rien là que de très honorable.
    – Me faire écrire par son valet de chambre !…
    – Personnage plus influent qu’un premier ministre.
    – Pas un liard ! Pas une baïoque !
    – Honneur passe richesse. L’impériale satisfaction…
    – J’aimerais mieux un plat de saucisses ! Vraiment !
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