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Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs
Autoren: Michel Zévaco
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l’impériale satisfaction ! Est-ce la satisfaction, si impériale qu’elle soit, qui me nourrira et qui nourrira ces coquines ! Tu n’as pas idée de ce qu’elles dévorent, avec leur air de faire la bouche en cul de poule. Il m’en faut de l’argent ! Ah oui ! Mais Charles verra ce qu’il en coûte de se moquer de moi. Par Satan, je veux lui faire suer de l’or ou des larmes. Je connais un secret tel que, si je le divulgue, il en sera atterré, tué, anéanti, et qu’il en sera réduit à se cacher, à fuir sous terre, à s’enterrer, vivant [10] .
    – Tu dis donc, reprit Bembo, qu’il te faut de l’argent ?
    – Sans les mille écus que j’ai touchés grâce à toi, je me demande ce que je deviendrais… »
    Bembo jeta un regard oblique vers un coffre devant lequel Pierre se plaça aussitôt.
    « Tu regardes mon coffre ? demanda-t-il avec inquiétude. Je te jure qu’il est vide. »
    Il mentait effrontément, Roland ayant fait porter chez lui les dix mille écus convenus au moment du départ pour le camp du Grand-Diable.
    « S’il est vide, il faut le remplir, dit Bembo.
    – Je sais bien qu’il me reste neuf mille écus à toucher au trésor ducal, insinua l’Arétin.
    – Oui, fit le cardinal. Mais tu sais aussi à quelle condition ?
    – Je ne l’oublie pas, dit l’Arétin en faisant une grimace de désappointement. Il faut, pour cela, que je livre Roland Candiano.
    – Cette condition a l’air de te déplaire ?
    – Non pas, diavolo ! s’écria l’Arétin avec empressement. Mais si ce Roland ne revient jamais ici ?… Que deviennent mes pauvres neuf mille écus ?
    – Sois tranquille, dit Bembo d’une voix sombre, il reviendra.
    – Tu crois ?
    – J’en suis sûr… Cependant, il est un autre moyen pour toi de t’assurer chez le trésorier ducal l’accueil que tu rêves…
    – Ah ! ah !… Je savais bien que nous dirions ce matin des choses intéressantes ! Voyons le moyen, Bembo de mon cœur ?
    – Tu veux dire « de ton coffre » !
    – C’est la même chose. Parle donc. Mes oreilles s’ouvrent, telles des escarcelles avides de s’emplir. »
    A ce moment, un valet en grande livrée entra, ouvrit toute grande une porte à deux battants qui donnait sur la salle à manger du palais et prononça gravement :
    « Les viandes du seigneur d’Arezzo sont sur la table.
    – Monseigneur, dit l’Arétin en reprenant ce ton de respect qu’il affectait en public pour Bembo, tout indigne qu’elle soit d’un vénérable prince de l’Eglise, ma table sera infiniment honorée si vous consentez à prendre place devant elle.
    – J’accepte votre invitation, mon cher poète, dit Bembo. Encore que la bonne chère ne soit pas mon péché habituel, et j’en rends grâces au Ciel, le plaisir que j’éprouve en votre société me fait un devoir de m’asseoir à votre table. »
    Ayant échangé ces phrases alambiquées, comme avaient d’ailleurs l’habitude d’en échanger les seigneurs de l’époque, les deux compères entrèrent dans la salle à manger.
    Une table y était magnifiquement dressée. Elle supportait en de grands plats d’argent deux langoustes, un cuissot de chevreuil entouré d’alouettes rôties, un pâté à la croûte dorée, et une véritable collection de pâtisseries variées que la Margherita et la Chiara excellaient à préparer.
    Plusieurs flacons au ventre arrondi et au mince goulot que l’on brisait d’un coup sec offrirent à l’œil expert de l’Arétin les rubis du bordeaux ou du bourgogne, les topazes des vins du Rhin, et l’or fondu des xérès.
    L’Arétin faisait servir ses convives par ses Arétines, admirables servantes, maîtresses dressées à l’art de plaire et d’enivrer, toutes dignes du pinceau d’un génial artiste, puisque Titien les prit pour modèles, toutes expertes aux sourires qui enchantent, aux regards qui brûlent, aux attitudes innocemment perverses qui grisent, en sorte que, généralement, les convives princiers que le maître poète admettait à sa table s’en allaient ravis, en extase, préoccupés du présent qui serait digne de récompenser ces enchantements.
    Chacune des Arétines avait sa fonction bien précise.
    La Margherita découpait les viandes.
    La Franceschina versait les vins rouges.
    La Marietta versait les vins blancs.
    La Périna offrait des tranches de pain dans une corbeille d’osier doré.
    La Paolina et l’Angela servaient dans les assiettes les mets que la
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