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Le piège

Le piège

Titel: Le piège
Autoren: Emmanuel Bove
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merveilleux. Il avait sauvé la
France. Grâce à lui, les Allemands avaient du respect pour nous. Ils
surmontaient leur victoire. Nous, nous surmontions notre défaite, ce qui
permettait aux deux peuples de se parler presque d’égal à égal. Voilà ce qu’il
fallait dire. Quand on se trouvait en présence d’un excité, on pouvait même
aller plus loin. Si chaque Français scrutait au fond de lui-même, s’il était de
bonne foi, il devait bien reconnaître qu’il avait éprouvé un immense
soulagement à la signature de l’armistice.
    «Vous étiez sur les routes et maintenant
vous êtes chez vous », avait dit le Maréchal. Bridet n’avait qu’à dire la
même chose. Il ne devait avoir aucun scrupule à tromper des gens pareils. Il
pouvait leur raconter n’importe quoi. Plus tard, quand il aurait rejoint de
Gaulle, il se rattraperait.
    ** *
    Une fois habillé, il sortit. À cent mètres
de là, il entra dans un autre hôtel pour rendre à sa femme l’habituelle petite
visite matinale.
    La fameuse affiche représentant un drapeau
tricolore au milieu duquel était dessinée la tête du Maréchal un peu de trois
quarts, par modestie, volontairement affinée, avec un faux col empesé, un képi
sans la moindre inclinaison et cette expression de profonde honnêteté, de
légère amertume, de fermeté n’excluant pas la bonté, que les mauvais artistes
savent si bien rendre, cachait la grande glace centrale.
    Yolande avait également trouvé une chambre.
Cette dernière, comme celle de son mari, était trop petite pour qu’on pût y
coucher à deux. Bridet n’en était d’ailleurs pas trop mécontent. Il était dans
un tel état d’abattement qu’il préférait être seul. Il avait beaucoup aimé sa
femme, mais depuis l’armistice, sans qu’il s’en rendît compte nettement, il s’était
un peu détaché. Elle avait tout à coup des volontés, des désirs qui n’étaient
plus les siens. Elle avait été frappée, elle aussi, par la catastrophe et elle
semblait découvrir maintenant qu’il y avait dans la vie des choses autrement
importantes que la bonne entente dans un ménage.
    Elle s’inquiétait pour sa famille restée à
Paris, elle qui pendant des années ne s’était pas souciée d’elle. Elle était
impatiente de revoir des gens qui jusqu’alors lui avaient été indifférents.
Elle parlait sans cesse de son petit magasin de modes de la rue
Saint-Florentin, de son appartement, comme si elle y avait vécu seule. Bridet
avait senti qu’il était devenu peu à peu à ses yeux, non pas un étranger, mais
un de ces êtres qu’on néglige un peu car, malgré l’amour qu’ils nous portent,
ils ne peuvent rien pour nous. Et au fond de son cœur, il estimait qu’elle
avait raison de le juger ainsi. En effet, il ne pouvait rien pour elle. Tant qu’il
y avait eu une armée, en en faisant partie, il avait défendu sa femme. À
présent, il ne la défendait plus. Il ne pouvait pas aller à sa place solliciter
un ausweiss, il ne pouvait pas lui trouver une simple chambre, ni un taxi, il
ne pouvait pas envoyer d’argent à sa famille de Paris, ni s’occuper du magasin,
il ne pouvait absolument rien. Elle le savait et, tout doucement, elle prenait
l’habitude de ne compter que sur elle-même.
    Il s’assit près d’elle. Jusqu’à présent, il
n’avait jamais fait la plus petite allusion à son désir de partir.
    — Écoute, Yolande. Il faut que je te
parle sérieusement.
    Elle le regarda sans paraître remarquer qu’il
était plus grave que d’habitude. Il y avait du monde dans le hall. Il aurait
fallu parler à voix basse, en se retournant à chaque instant.
    — Viens là-bas, dit Bridet. Nous
serons plus tranquilles.
    Yolande se leva. Ils allèrent s’asseoir
côte à côte dans le fond du hall.
    — J’ai réfléchi toute la nuit, dit
Bridet. Il faut que j’aille voir Basson.
    Yolande garda le silence. Bridet s’échauffa.
Il en avait assez. Il regrettait de ne pas l’avoir fait plus tôt. À présent sa
décision était prise. Il irait voir Basson. Il aurait l’air de lui parler
franchement. Il lui dirait qu’il admirait le Maréchal... Il lui demanderait son
appui. Basson était un vieux camarade. Il ne le lui refuserait pas. Mais nous
disons tant de choses quand nous passons des mois ensemble mécontents et
misérables, nous faisons tant de projets sans que rien ne change à notre vie,
que lorsque nous prenons une décision, nous nous apercevons tout à coup que
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