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Le piège

Le piège

Titel: Le piège
Autoren: Emmanuel Bove
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rendez-vous, un signe enfin de l’extérieur.
    Mais dans cette cohue qui avait envahi la
ville, au milieu des difficultés que chacun éprouvait, parmi tous ces gens qui,
à Paris, s’ils se connaissaient, ne se fréquentaient pas, il n’y avait pas de
place pour le moindre sentiment de solidarité. On se serrait la main, on s’efforçait
d’avoir l’air aussi content à la dixième rencontre qu’à la première, on
sympathisait dans l’immense catastrophe, feignant de croire que le malheur unit
plutôt qu’il ne divise, mais dès que, cessant de parler de la misère générale,
on essayait d’intéresser quelqu’un à son petit cas particulier, on se trouvait
en face d’un mur.
    Le soir, Bridet rentrait exténué. Pour
conserver sa chambre, il devait simuler chaque semaine un départ, les hôtels
étant réservés aux voyageurs de passage. « C’est tout de même grotesque,
pensait-il, de n’avoir pas encore trouvé, au bout de trois mois, le moyen de
filer. Cela devient même dangereux. » Tout le monde finissait par se
douter qu’il voulait partir. Rien ne dévoile mieux nos intentions qu’une longue
impuissance. À toujours demander sans obtenir, on finit par donner de soi l’idée
qu’on ne réussira jamais, qu’on appartient à cette catégorie un peu ridicule d’hommes
dont les désirs sont trop grands pour leurs possibilités.
    ** *
    Le 4 septembre 1940, Bridet se réveilla
plus tôt que d’habitude. Il occupait à l’hôtel Carnot une petite chambre, la
chambre 59, la dernière. Elle donnait sur la place Carnot, en face de la gare
de Perrache. Toute la nuit il avait entendu des allées et venues. Jamais les
Français n’avaient autant voyagé. Avant le lever du jour, il avait entendu les
premiers tramways. La vie continuait donc comme avant ! Il y avait donc
encore des ouvriers qui se rendaient à leur travail ! Et cette vie
régulière que ces entrechoquements de voiture à l’aube et ces bruits de roues
de fer sur les rails évoquaient, avait quelque chose de désespérant.
    Le soleil s’était levé, mais il n’avait pas
encore dépassé les maisons plantées de l’autre côté de la place et ces rayons
qui ne se posaient sur rien, qui se répandaient simplement dans l’espace,
donnaient au ciel un aspect printanier. Tout à coup, au plafond, une pâle
lumière dorée vint se poser. Bridet se rappela des matins de vacances et il eut
un serrement de cœur. La vie était toujours aussi belle. Lui aussi, il avait
envie de voyager. Mais à Avignon, à Toulouse, à Marseille, que trouverait-il de
mieux ? On étouffait partout. Où qu’on allât, on se sentait écrasé par une
police de plus en plus nombreuse. Chaque agent était doublé d’un autre agent,
quelquefois même d’un civil qui, dans sa hâte de prendre du service, n’avait
pas attendu qu’un uniforme lui fût donné.
    « Cela me dégoûte, mais il faut tout
de même que j’aille voir Basson », murmura Bridet. Il se disait chaque
jour qu’il devait aller à Vichy. Il s’en voulait d’avoir trop attendu. Il avait
traîné tout l’été dans les villages du Puy-de-Dôme, de l’Ardèche, de la Drôme,
espérant il ne savait quoi, et maintenant il avait le sentiment que ce qu’il
aurait pu faire dans la confusion qui avait suivi l’armistice devenait de jour
en jour plus difficile.
    Il avait des amis, Basson par exemple. Ce
dernier lui ferait obtenir une mission quelconque, un passeport. Une fois hors
de France, Bridet se débrouillerait bien. L’Angleterre n’était tout de même pas
inaccessible.
    « Il faut absolument que je voie
Basson », répéta-t-il. Il n’aurait qu’à cacher son jeu. Il dirait à tous
qu’il voulait servir la Révolution nationale.
    « Est-ce qu’on me croira ? »
se demanda-t-il. Il venait de se rappeler qu’il avait beaucoup parlé, que
pendant longtemps il ne s’était pas gêné de dire ce qu’il pensait, qu’encore
aujourd’hui il lui arrivait de ne pouvoir se retenir. Jusqu’à présent, cette
loquacité n’avait pas paru tirer à conséquence, mais voilà que tout à coup, au
moment d’agir, il lui apparaissait que le monde entier connaissait ses projets.
Il pensa alors, pour se redonner du courage, qu’au fond les gens ne nous jugent
pas d’après ce que nous avons dit – eux-mêmes ont dit tant de choses –
mais d’après ce que nous disons dans le moment présent. Il n’avait qu’à marcher
à fond pour le Maréchal. C’était un homme
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