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Le piège

Le piège

Titel: Le piège
Autoren: Emmanuel Bove
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dans tous les
sens une petite broche qui représentait le képi et le bâton du Maréchal avec
les sept étoiles. J’en voudrais deux. Et est-ce que vous n’auriez pas aussi une
petite photo un peu originale de Pétain, que je pourrais garder sur moi ?
    — Non, Monsieur. Nous n’avons que les
portraits que vous avez vus en vitrine, ou alors les cartes postales que tout
le monde connaît.
    — C’est ennuyeux, dit Bridet.
    À ce moment, il remarqua que la vendeuse se
retenait pour ne pas éclater de rire. Tout à coup, elle disparut et une autre
vendeuse vint la remplacer.
    Bridet fit semblant de ne s’être aperçu de
rien, mais dès qu’il fut sorti du magasin, il dit à haute voix, de façon à être
entendu des passants : « Décidément, les Français n’ont encore rien
compris. L’avenir leur réserve bien des désillusions. »
    Il était encore un peu tôt pour téléphoner
à Laveyssère. « Il faut quand même être tombé bien bas pour en être réduit
à jouer une pareille comédie », pensa Bridet. Il alla s’asseoir dans le
parc, à la terrasse de la Restauration. Il reconnut des parlementaires. Ceux-ci
se promenaient en se tenant par le bras. Ils s’arrêtaient, se lâchaient,
faisaient des gestes en parlant, se reprenaient. Ils ne paraissaient pas
tellement frappés par les événements. Des généraux passaient également, d’un
pas rapide.
    À dix heures et demie, Bridet téléphona à l’Hôtel
du Parc. Il eût plus vite fait d’y aller, mais le souvenir de sa visite à
Basson lui avait laissé trop mauvaise impression. Il préférait inviter
Laveyssère à déjeuner.
    La confiance qu’on avait témoignée à
celui-ci, en lui permettant de faire partie de l’entourage immédiat du
Maréchal, venait de raisons autrement sérieuses et honorables que celles qui
jouaient avant la guerre. Aucune puissance occulte n’avait favorisé le jeune
médecin bordelais. Ce dernier n’était naturellement ni franc-maçon, ni juif, ni
communiste. Il était simplement le neveu du frère du général Feutrier, lequel
général était un vieux camarade de promotion du Maréchal, celle de 1875.
    ** *
    À une heure moins le quart, ils se
rencontrèrent à la brasserie Lutetia. Laveyssère n’avait pas comme Basson un
pouvoir effectif, mais il en avait peut-être plus par la facilité d’approcher
le Maréchal et surtout par d’autres liens de famille qui l’apparentaient par
les femmes au docteur Ménetrel.
    Après avoir raconté ce qui lui était arrivé
pendant la retraite, aventure qu’il appelait « son odyssée »,
Laveyssère parla du Paris d’après l’armistice où il était retourné chercher ses
costumes. Ce qu’il retenait surtout de son voyage, c’était que les Allemands se
fussent installés dans les plus beaux hôtels : le Ritz, le Grillon, le
Claridge. Il raconta l’effet pénible que cela lui avait produit de voir tous ces
officiers boches se considérer comme chez eux dans ces hôtels si élégants. C’était
écœurant. Puis il parla d’un défilé de troupes allemandes qui avait duré six
heures. « Et qu’est-ce qu’ils avaient comme matériel ! »
    Bridet demanda s’ils avaient l’air arrogant.
Laveyssère réfléchit un instant, comme un homme qui ne veut rien dire qui ne
soit certain. En toute sincérité, il ne pouvait pas dire que les Allemands
étaient arrogants. Ils avaient plutôt un air triste assez inattendu chez des
vainqueurs. On eût dit qu’ils avaient conscience que ce n’était pas la vraie
France, la nôtre, qu’ils avaient battue, et qu’ils éprouvaient une certaine
gêne vis-à-vis de la population qui, elle, était cette vraie France. « La
vérité, je dois le dire, continua Laveyssère, ces gens-là ne comprennent pas
pourquoi nous leur avons déclaré la guerre. » Ils avaient toujours un
profond respect pour notre civilisation. Ils se rendaient bien compte que leur
victoire si rapide ne nous avait pas fait perdre ce par quoi nous leur étions
supérieurs.
    Il raconta ensuite une foule de petites
anecdotes desquelles il ressortait que les Allemands étaient surtout préoccupés
de faire bonne impression sur nous, de nous montrer qu’ils savaient vivre, eux
aussi. Mme James Laveyssère avait été embrassée en plein jour, avenue des
Champs-Élysées, par un soldat ivre. Un officier était intervenu et « je
vous prie de croire, poursuivit Laveyssère, que cette incartade a dû coûter
cher à ce soldat ». Les Allemands,
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