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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante
Autoren: Arnaud Delalande
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représente... Avez-vous déjà fait part à ce prisonnier de votre proposition ?
    — C'est fait, Votre Altesse. Il a accepté, naturellement. Il n’attend plus que nous. Figurez-vous qu’il profite de sa claustration pour rédiger ses Mémoires... Je lui ai signifié, comme vous l’imaginez, que les détails de l’affaire dont nous parlons ne sauraient y figurer... Non que je pense que son récit passera à la postérité! Mais il serait fâcheux qu’il renie de sa plume l’engagement qu’il m’a fait, et que cela suffise à jeter le discrédit sur nous, les Conseils et le gouvernement tout entier.
    — Hé ! Cela, je ne vous le fais pas dire.
    Il alla s’asseoir dans son fauteuil, se caressant la barbe d’une main. Emilio s’avança.
    — Allons, que risquons-nous, Votre Altesse ? Dans le pire des cas, il s’enfuit; mais dans le meilleur... Il sera peut-être pour nous l’instrument rêvé... Il manie l’épée comme personne, sait s’attirer les confidences du peuple, et son intelligence redoutable, si elle est mise au service d’une noble cause, peut sauver Venise. Une ironie qu’il n’a pas manqué de noter lui-même, mais de laquelle il se délecte. Il y trouvera ainsi une forme de rédemption... La rédemption, Votre Altesse... Un ressort puissant...
    Le Doge réfléchit encore. Il ferma les yeux, ramenant ses doigts en coupe auprès de ses lèvres. Puis, dans un soupir, il regarda Emilio :
    — Bien. Amenez-le donc ici. J’ai toute confiance en votre jugement. Mais concevez que je veuille le voir et l’entendre moi-même, pour me faire une opinion plus exacte de l’esprit de cet homme.
    Emilio sourit. Lentement, il quitta son fauteuil et s’inclina. Il releva les sourcils et son sourire s’accentua lorsqu’il dit :
    — Il en sera ainsi, Votre Altesse.
    Il était déjà sorti que le Doge, préoccupé, marmonnait :
    — Tout de même... Faire sortir l’Orchidée Noire !...

    Le Doge ferma les yeux.
    Il vit des galères armées qui canonnaient dans la lagune, des formes encapuchonnées courir dans la nuit et se déverser sur Venise, le Carnaval s’embraser. Il sentit l’odeur de la poudre et entendit le bruit des armes. Il s’imagina la Sérénissime sombrant dans les eaux, engloutie pour jamais. Le spectacle grandiose de son propre anéantissement enflamma aussi son esprit.
    On lui avait apporté un café fumant, qui reposait auprès de son sceptre. Ses yeux se perdirent dans le marc.
    Et Francesco Loredan, Prince de la Sérénissime, cent seizième Doge de Venise, pensait :
    Les fauves sont lâchés.

CHANT II
    Le vestibule de l’enfer
    Les Plombs de Venise faisaient partie du palais ducal ; ces prisons, situées sous les combles et recouvertes de lames de plomb de trois pieds carrés, avaient la réputation d’être parmi les plus sûres d’Italie. On y accédait par les portes du palais, ou par un autre bâtiment, en traversant le pont des Soupirs. Loin d’évoquer l’extase d’amants passionnés, ces soupirs rappelaient les dernières lamentations des condamnés que l’on menait régulièrement au lieu de leur exécution. Derrière le treillis des fenêtres ajourées du ponte dei Sospiri , on pouvait deviner la lagune; puis l’on s’engouffrait dans d’étroits couloirs avant de monter sous les toits, à l’endroit où se trouvaient les cellules des pires criminels.
    Dans l’une d’elles se trouvait un homme accusé depuis longtemps de perturber l’aimable tranquillité vénitienne. Sans être le plus sombre des brigands, il devait à son caractère amoral et aventureux de fréquents séjours dans les geôles, qui risquaient bien, cette fois, de le mener tout droit à une condamnation à mort. Son procès était encore en instruction. La récente conversation qu’il avait eue avec Emilio Vindicati lui avait redonné l’espoir de se tirer de ce mauvais pas. Il avait le cheveu long, mais se rasait et se soignait tous les jours comme s’il devait le soir même participer à quelque fête galante; des sourcils arqués, parfaitement dessinés, un nez fin surmontant une bouche aux plis insolents ; des yeux expressifs, que l’on devinait aussi aptes à claironner la vérité qu’à la dissimuler. Son allure racée contrastait avec l’endroit dans lequel il se trouvait. On lui avait accordé le droit de recevoir des livres, et d’avoir une table en plus de la paillasse où il dormait. Il avait sympathisé avec son geôlier, Lorenzo Basadonna, qui le fournissait en
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