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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante
Autoren: Arnaud Delalande
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lui masquait une partie du visage, si bien que l’on ne voyait que ses yeux, étincelants. Pietro fronça les sourcils. Tout à coup, l’homme marcha vers lui et, l’attirant par l’épaule, de manière presque autoritaire, il dit, la voix déformée par son foulard :
    — Excusez-le une seconde, princesse. Et toi... viens !
    Pietro était estomaqué.
    — Je vous en prie, qu’est-ce que...
    — Allez, viens !
    Intrigué, Pietro regarda Anna et abandonna son bras un instant, se laissant entraîner par le mystérieux personnage. Ils s’écartèrent de la foule, et l’homme se posta auprès d’une ruelle obscure. Se retournant de nouveau, il eut un rire. Ses yeux semblèrent étrangement familiers à Pietro... Dans un souffle, l’homme tira son foulard vers le bas; il avait l’air particulièrement excité.
    Pietro le reconnut aussitôt.
    — Giacomo ! Toi ! dit-il, stupéfait.
    Casanova sourit, puis son sourire disparut. En vérité, il avait le teint pâle et le visage émacié, sous l’effet de ses longues privations. Son front était fiévreux.
    — Mais je te croyais encore enfermé aux Plombs ! J’ai proposé que le Conseil des Dix te prenne à son service, le Doge parlait de réexaminer ta libération, mais...
    Casanova étendit la main.
    — Tais-toi, mon ami ! Je ne peux te parler longtemps. Je suis en fuite. Un cheval m’attend, je pars loin d’ici.
    — En fuite? Mais comment as-tu...
    — Tu te souviens de Balbi ? Il était enfermé non loin de nous. Tu ne le croiras jamais : il est parvenu à creuser un trou, sous le plafond de sa cellule, pour me rejoindre dans la mienne. Ensemble, nous avons pu échafauder un plan, et je suis parvenu à m’échapper par les toits...
    — Une évasion! Une évasion des Plombs! Mais... c’est incroyable !
    — Une première, je sais ! Pietro, mon ami... Comment vas-tu ? Je vois que tes affaires aussi se sont arrangées, dit-il en regardant Anna par-dessus son épaule, qui les observait tous deux. Alors... Ottavio a quitté la scène? Mais que s’est-il passé, pendant tout ce temps ? Le Carnaval s’est déroulé dans une telle agitation que...
    — Oh, dit Pietro, souriant. C'est une longue histoire. Venise ! Tu sais... Mais toi, Giacomo ! Où vas-tu aller?
    — Ne m’en veux pas, je ne peux te le dire. Mais allons! Je dois te quitter! Plaise à Dieu que nous nous croisions à nouveau, mon ami ! Je ne t'oublierai pas.
    — Moi non plus, Giacomo. Moi non plus.
    Les deux hommes s’étreignirent puis, dans un dernier sourire, Casanova fit un signe de son chapeau... et s’en retourna dans un froissement de cape.
    Il disparut dans la ruelle sombre.
    Pietro resta là quelques instants. Il regarda en direction d’Anna Santamaria. Elle l’attendait, au milieu de la foule qui se dispersait.
    Il jeta un dernier coup d’oeil vers la ruelle... puis il rejoignit Anna.

    C'était au mois d'octobre 1756. Giacomo Casanova venait de s’évader de la prison des Plombs. Pietro, songeur, se tenait devant la lagune, place Saint-Marc. Son chapeau à la main, il portait un grand manteau noir, par-dessus sa veste aux motifs floraux et une chemise blanche aux amples manches. La nuit avait passé, le jour se levait. Des nappes de brume s’élevaient lentement vers le ciel. Les gondoles, alignées tout le long du quai, tanguaient légèrement de gauche à droite, accompagnant le clapotis de l’eau. Pietro n’avait pas le coeur lourd, mais étreint d’un curieux sentiment de nostalgie. Il regardait San Giorgio, devinait au loin les rives du Lido; derrière lui, la flèche du Campanile et le lion ailé. Combien de temps? se demandait-il. Venise avait déjà traversé tant d'épreuves. Un joyau, oui ! Mais si fragile. Ce bout de lagune menacé par l’ acqua alta , les intempéries, les tremblements de terre et de mer, ce bout de lagune que l’on s’était évertué à sauver depuis déjà six cents ans, avait été un empire, un pont entre l’Orient et l’Occident, un phare pour le monde. Mais combien de temps survivrait-elle? Quels efforts faudrait-il encore accomplir pour lui permettre de garder sa beauté et son rayonnement? Quelles nouvelles inspirations ferait-elle naître ? Venise en ses masques et sa vérité, ville des arts et du Carnaval, de la joie et des faux-semblants. Quelles convoitises exciterait-elle encore ?
    Pietro aimait Venise comme une femme, comme sa première maîtresse.
    — Pietro !
    Il se retourna.
    Anna Santamaria, lumineuse, l’attendait.
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