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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers
Autoren: Jean-Paul Desprat
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étaient Toulousains et qu’ils avaient brisé la veille l’essieu de leur carrosse à l’entrée du village. Pour compléter ce vol de voyageurs pris dans les rets attentifs de madame Costes, se trouvait, un peu à l’écart, un homme vêtu de noir qui disparaissait derrière un exemplaire du Mercure Galant 6 , enfin, vis-à-vis de lui, mais ne l’accompagnant pas, une femme ravissante, jeune encore, superbement parée d’une robe à pretintailles 7 et qui répandait sur toute la tablée une délicate senteur de lilas.
    Victor adressa des saluts furtifs à la compagnie, rougissant d’être le dernier à paraître et d’avoir pour premiers commensaux des gens qui paraissaient rompus à l’art de voyager. Il n’avait eu que le temps, par une énergique toilette qui lui avait empourpré les joues, de se dépoussiérer le tour du nez et de resserrer un peu le ruban qui rassemblait ses cheveux annelés par la sueur. Pourtant, sa brusque apparition parmi les voyageurs abrutis de fatigue fut digne de celle de Ganymède au festin des dieux. Tous, même l’abbé à l’aspect si revêche, gratifièrent d’un sourire l’irruption de la jeunesse dans la torpeur de leur assemblée.
    La Toulousaine qui lui fut désignée pour voisine se fit la première ronronnante. Elle l’arraisonna d’un accent tout fleuri et qui tintait plus dru que le battant d’une grosse cloche.
    – Voyagez-vous seul ? lui demanda-t-elle.
    – Tout seul, confirma Victor en s’appliquant aux grimaces les plus civiles, c’est même la première fois que je quitte la maison de mon père.
    – Ah, ça ! vous avez du courage, répliqua le mari agité d’un tic nerveux qui lui faisait sans cesse tirer sur la grosse chaîne d’or plongeant dans son gousset, cette maudite route n’est qu’un coupe-gorge d’ici jusqu’au Berry. Nous ne sommes arrivés à Brive sains et saufs que pour avoir requis le secours de l’intendant du Limousin.
    – Que se passe-t-il donc ? s’enquit Victor avec un air de candeur.
    Le voyageur prit un air sombre. Ses sourcils se hérissèrent.
    – Des paysans révoltés, des croquants devrais-je dire, qui tiennent la campagne, les armes à la main, après avoir égorgé deux receveurs des gabelles et blessé les fusiliers qui les escortaient.
    – Des croquants qu’on a tout fait pour pousser à bout ! rétorqua, en affectant de ne point se distraire de sa lecture, l’homme en noir qui était installé à côté de Victor.
    – Comment, pousser à bout ? se récria le Toulousain qui n’avait pas compris d’où venait la voix qui l’avait interrompu.
    – Fichaises, monsieur ! s’opiniâtra méchamment le même homme, lorsque les gens n’ont plus rien à donner, lorsqu’ils n’ont plus même de quoi se nourrir, que voulez-vous qu’on leur prenne davantage ?
    Celui qui venait de parler de façon si péremptoire et d’un accent si mâle, reposa enfin sa gazette pour découvrir une figure pâle à front rebombé, traversée d’un nez un peu carlin, clouée entre lèvre et menton d’une grosse verrue. Sans qu’il fût vraiment beau, sa tournure était agréable, avec une expression racée et un abord singulièrement charmeur. Une perruque courte et fatiguée, un habit étranglé, des lunettes de fer tordues, contribuaient à lui faire la mine d’un écolier rassis dans de longues études.
    – Sacredire ! repartit l’époux de la voisine de Victor, j’ignore qui vous êtes mais je vous trouve diablement impertinent.
    – Je suis le chevalier Maximilien de Carresse, reprit vivement le lecteur, et je vous baise les mains, monsieur ! Je n’ai pas conscience de mon impertinence mais il est vrai que les gens de ma naissance sont souvent malhabiles au maniement des louanges boursouflées.
    Le Toulousain, devenu livide, s’apprêtait à répliquer lorsque l’abbé, se distrayant brusquement de son bréviaire, dévisagea les deux contradicteurs avec la mine rébarbative d’un fouette-cul 8 de collège.
    – Allons, messieurs ! ronchonna-t-il, nous sommes entre gens de bonne compagnie… Que vont penser de nous, là-bas, ces rustres ?
    Il coula un regard oblique vers le fond de la salle où les vachers, attablés dans les ténèbres, poursuivaient leurs agapes sans paraître se soucier des autres soupeurs.
    Victor, stupéfait par le cliquetis de mots qu’il venait si involontairement de déclencher, piqua du nez dans son assiette : ce fut pour constater, contenant un soupir crève-cœur, qu’elle était
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