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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers
Autoren: Jean-Paul Desprat
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l’Europe. Sa taille, sa tournure, ses façons sont déjà celles d’un homme, pourtant il n’a rien du mousquetaire. Si nous ne craignions pas la confusion des temps, nous le dirions déjà un romantique : sa figure mate et délicate, ses lèvres épaisses, ses plats cheveux d’ébène, ses yeux noir de jais, lui venaient de sa mère. Pour tout le reste, il tenait de son père, surtout cette démarche un peu raide, ce port de tête allier qu’atténuait la bonté du regard, enfin ce front haut et large qui donnait une vue si exacte de l’obstination des Gironde. On le voyait souvent, un livre sous le bras, portant un habit de drap bleu qui lui allait un peu juste et des bas d’étame grossière ravalant sur de méchantes chaussures à surpieds, s’enfoncer, en compagnie de son oncle, l’abbé de Tressan, dans les chemins creux, autour du château de sa famille. Ce prêtre, d’apparence chétive, l’un des vicaires généraux de l’évêque de Rodez, cultivait l’audace intellectuelle au point d’avoir initié son neveu aux philosophes du temps tenus en suspicion par l’Église. Dix ans de ces leçons chuchotées ainsi que des patenôtres avaient fait de Victor un savant. En histoire, en algèbre, en musique aussi, car l’abbé touchait assez joliment l’orgue et l’épinette, le jeune homme avait acquis des lumières supérieures à celles qu’un garçon de son monde pouvait glaner en son temps dans le Rouergue. Ses deux sœurs, Louise et Charlotte, de neuf et six ans ses cadettes, devaient également beaucoup à leur oncle, moins que leur aîné d’évidence parce qu’elles n’étaient que des filles mais considérablement plus malgré tout que les créatures de leur sexe dans ce temps-là.
    Monsieur de Gironde laissait avec sérénité croître sa progéniture dans le catholicisme. C’était la plus pressante recommandation que lui avait renouvelée sa femme en expirant et il n’aurait jamais eu l’idée de revenir sur cet engagement qu’il regardait comme sacré. Lui-même, pourtant, dans maintes circonstances où il se trouvait seul, en particulier lorsqu’il boulangeait le samedi son beau pain blanc et qu’il demeurait la nuit dans le fournil à veiller sur la cuisson, continuait de méditer la Bible et les écrits des pasteurs. Aussi endurcie dans sa foi primitive était la vieille Angèle. Sachant lire et refusant farouchement de s’exprimer en patois comme les plus convaincus des anciens huguenots, elle marmonnait inlassablement les psaumes de Marot tandis qu’elle apprêtait dans l’âtre la bouillie de châtaignes blanchettes.
    Cette existence sans heurt, bucolique et savante, excitait la fierté de monsieur de Gironde. Le soir, lorsqu’il s’asseyait au bout de son champ, sous un chêne, contemplant son confident, le Lot au lancinant murmure, et les sillons verts tracés par son effort dans la garrigue, il songeait au pays de Canaan de ses pieuses lectures et il se félicitait d’avoir ancré un îlot de paix dans un océan de haine.
    C’est, hélas, sur cette Thébaïde qu’à la fin de l’été 1702 s’abattit l’orage qui devait jeter Victor sur la route de Paris.
    Le 26 juillet, un jeune prédicant protestant du nom de Fauvel, nature encore trop frêle pour résister longtemps aux horreurs de la question, fut arrêté près de Montauban. À la veille d’être supplicié sur la roue, il révéla que le père de Victor lui avait fourni dans son château aide et assistance. Il n’en fallut pas plus à l’intendant de Guyenne, Le Gendre, pour concevoir un châtiment qui soit propre à détourner les huguenots, restés nombreux dans sa province vers Millau et Saint-Antonin, de s’unir à la révolte initiée quelques semaines auparavant, dans les Cévennes, par le meurtre de l’abbé du Chayla. Dans ce dessein, le père de Victor figurait la victime idéale : noble et par là un phénix pour les plus humbles qui ne manqueraient pas d’être effrayés de la hauteur de sa chute, il ne paraissait pas à la cour et n’y jouissait d’aucun appui en état de détourner le coup qu’on lui destinait. Le Gendre décida de lui faire son procès dans les formes et il enjoignit au prévôt de Rodez de courir l’arrêter. L’abbé de Tressan, cadet de la défunte mère de Victor, faisait toutefois une figure trop connue et estimée dans son diocèse pour n’être pas dans l’instant avisé d’un ordre pris contre son beau-frère. Il sollicita ses amis dans le but de
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