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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers
Autoren: Jean-Paul Desprat
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toujours aussi glorieux, le portrait que je vous en ferai sera le clou du récit que je viens de vous promettre.
    Sur ses mots, éperonnant sa jument, il leva un bras en signe d’adieu et quitta la ville par la longue montée qu’emprunte la route de Brive pour s’échapper de la vallée du Célé.
    Le causse qu’il traversa au gros du jour était déjà un autre monde. S’inquiétant d’abord de n’y trouver ni les grands bovidés, orgueil des laboureurs, qu’il était accoutumé à voir chez lui, ni les volailles dodues, signe de l’aisance frumentaire, qui, dans les haies, chantaient et crételaient en nombre autour du château de son père, il découvrit avec effarement l’aridité de ces étendues pierreuses, aigrettées de genévriers drus, quadrillées de murets sur lesquels, par dizaines, grouillaient des lézards verts à ventre énorme. Les hommes donnaient le sentiment de s’être retirés de ces terres fanées à perte de vue par la fureur du soleil ; ce n’étaient que maigres brebis tondues jusqu’à la chair et cochons noirs qui cherchaient la première glandée.
    Sur le soir, s’aidant de bancs de sable fin, il franchit à gué la Dordogne. L’eau glissait là, sans ride, ne procurant un sentiment de vie que par la diaprure qu’imprimait un grand soleil rouge en déclinant dans l’axe de la vallée. Victor se souvint alors que sa grand-mère lui avait fait maints récits de sa jeunesse passée au temps de Louis XIII dans un vieux château accroché au versant d’une montagne que cette rivière, un peu plus loin, courait envelopper. Le souvenir de cette vieille aimable, qui lui avait tenu lieu de mère entre sa septième et sa douzième année, raviva une dernière fois sa douleur et, frappé à cet instant par l’impression étrange et forte que la chevauchée merveilleuse des contes de son enfance se brisait à cet endroit, il laissa un moment s’épandre son regard vers les formidables falaises blanches alvéolées de cavernes qui marquaient la direction du Périgord.
    Il parvint à Martel comme l’angélus s’égrenait et ce n’est qu’en sautant à terre qu’il eut conscience d’avoir, en un jour, effectué le trajet de presque deux étapes et, par là, méconnu déjà l’une des plus pressantes recommandations que lui avait faites son père.
    Il s’était arrêté sur la longue place du village, près d’un groupe de vieillards silencieux qui avaient tiré leurs chaises au-dehors pour savourer la fraîcheur du soir. Un bonhomme grison, paré d’une belle barbe lisse, lui désigna la seule auberge du village dont l’enseigne figurant un lion d’or reproduisait le vieux rébus fait sur « au lit on dort », inlassablement repris depuis des siècles tout au long des routes de France.
    Autour d’une vaste cour précédée d’un porche voûté, l’établissement, qui servait de relais de poste, ordonnait des constructions disparates qu’une vigne fondait dans un admirable décor végétal. Sur la droite, une longue remise, toute retentissante de bruits de forge, étalait par ses portails grands ouverts un flot d’hétéroclites carabas aux brancards levés, les uns étincelant de leur vernis impeccable, les autres crottés jusque par-dessus leur toit. Tandis que Victor passait, l’écurie s’animait du ballet des valets en sabots et bas rayés qui lavaient à grande eau les stalles. Le bâtiment destiné aux hôtes, dans l’axe de l’entrée, était une demeure massive à volets peints en rouge, ceinte d’une terrasse en étage qu’on gagnait par un escalier aux balustres ventrus de terre cuite. La salle, dans laquelle on pénétrait directement, s’éclairait de huit fenêtres réparties sur trois côtés. Son unique mur sans jour supportait une cheminée devant laquelle des vachers en blouses noires, attablés çà et là avec leurs longues aiguillades, sablaient joyeusement le redoutable rapé 3 produit par la maison.
    Postée près de l’évier baigné par l’éclat orangé de la dinanderie, prête à fondre sur l’innocent qui venait de franchir son seuil, se tenait madame Costes, la maîtresse de poste.
    – Monseigneur nous fait l’honneur de venir partager notre souper ! s’exclama la bonne femme qui était accoutumée à déployer pour ses chalands de marque toute une panoplie de civilités trémoussantes.
    Dès l’abord, sa trogne poupine et rubiconde parut à Victor reluire davantage que les canards, suant leur jus de miel, qui chantaient
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