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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers
Autoren: Jean-Paul Desprat
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peu de liberté pour jeter sa gourme hors la vue de ses ouailles.
    Victor, confronté pour la première fois à la verve libertine, balança quelques secondes, revoyant en songe la figure débonnaire du vicaire, entre sourire ou prendre la défense de la vertu. Incapable de conclure mais mis étrangement en confiance par l’intérêt que lui manifestait son interlocuteur, il entreprit sans transition de raconter son existence à Gironde, peignant, le cœur sur les lèvres, avec des mots simples et des phrases sans apprêt, les malheurs et les joies de son enfance tout entière passée parmi les laboureurs. Négligeant à dessein d’entrer dans les véritables motifs de son départ, et cependant incapable de dissimuler le chagrin qui l’étreignait encore, il acheva son récit en racontant sa première journée de voyage.
    Le chevalier l’avait écouté avec attention et la moue moqueuse qui tordait sa bouche s’était insensiblement déplissée, au point, qu’après avoir paru songeur, il en était venu à montrer une figure rembrunie. À son tour, faisant écho au récit du jeune homme, il expliqua comment il s’était, vingt ans auparavant, à peu près dans le même équipage, lui aussi trouvé jeté sur la route de Paris après avoir dû secouer au foyer de ses pères la poussière de ses sandales. Les terreurs de ce premier voyage, le souvenir de sa marche assaillie de pensées angoissantes, altéraient encore le timbre de sa voix, et plus il contemplait son voisin, suspendu au flux de ses confidences, plus il se reconnaissait en lui.
    Il finit par lui prendre la main avec vivacité.
    – Ah ! croyez-moi, fit-il, c’est une chose bien extraordinaire que d’avoir devant soi tant de feuillets du livre de sa vie à noircir. Voici pourquoi je brûle de vous confier quelques tours de main, fruits de mes premières expériences, dont vous pourriez tirer profit… Rassurez-vous ! je ne prétends pas entamer ce chapitre à cette heure. Je vous propose de le faire en deux jours car mes affaires me conduisent à Bellac par où vous pouvez aisément passer sans vous retarder. J’ajoute qu’il est prudent ces temps-ci, à cause des émeutes qui agitent le Limousin, de faire ce détour par l’ouest… Que diriez-vous de ce bout de route en ma compagnie ?
    On n’eût sans doute à cette seconde pas procuré plus de plaisir à Victor en déposant à ses pieds la couronne du Saint Empire. Il accepta avec des yeux qui s’emplissaient de larmes, puis, comme un coup de dard parti du tréfonds de son estomac était venu pour lui rappeler sa faim, il but d’un trait, portant son écuelle à ses lèvres, sa soupe refroidie.
    Madame Costes, luisante de toutes ses rondeurs, le miel du commerce oignant ses babines, officiait à nouveau devant une pile de larges assiettes d’étain dont les bosselures avaient été estafilées au cours des lustres par le couteau énervé des voyageurs. Un marmiton en bonnet blanc vint, en se brûlant les doigts, déposer une omelette morveuse dont la chair, lorsqu’elle s’éventra, répandit jusque sur la nappe une coulée de cèpes à point roussis.
    À l’autre bout de la tablée, la dame en pretintailles se donnait les apparences de demeurer étrangère au roulement des conversations. Son regard cependant s’était fixé sur le chevalier, trop accoutumé à saisir par jeu dans le reflet de la prunelle des belles l’effet qu’il produisait, pour n’avoir pas, dans la seconde, remarqué ce manège.
    Déjà sûr de son fait, le nouvel ami de Victor crut pouvoir ferrer et héler sa proie à la dragonne :
    – Et vous, charmante dame, nous ferez-vous l’honneur d’un brin de conduite vers le nord ?
    Il avait accompagné sa question d’une œillade de gobe-cœur, si appuyée, qu’il aurait fallu sans doute aller se planter en pleine foire, sous le tréteau d’un saltimbanque, pour revoir la pareille.
    Ébranlée par la rudesse de l’assaut, la voyageuse répliqua en affectant une froide politesse :
    – Mille regrets, monsieur ! je vais en Espagne.
    – Je suppose, insista le chevalier, que ce somptueux équipage qui fut la cause de tant de sensations dans le pays tout à l’heure, est le vôtre ?
    – En effet, répliqua-t-elle d’un ton qui tournait à l’aigre.
    Carresse était aux anges. Il étira le cou par-dessus la table et, avant que sa victime n’ait pu esquisser un mouvement de recul déjà marqué d’un frémissement de fontanges 11 , il l’estocada dans un
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