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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers
Autoren: Jean-Paul Desprat
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souffle :
    – Laissez-moi ajouter que la maîtresse est digne de l’équipage !
    Contrefaisant l’indifférence, celle à qui s’adressait la saillie laissa mollement filer son regard vers l’âtre devant lequel madame Costes, penchée sur un chaudron d’huile fumante, s’apprêtait à confectionner les gougnettes 12 du dessert.
    En vérité, sous cet apparent détachement, la belle crevait de dépit ; le poudré rose de ses joues s’était empourpré avec l’afflux du sang et sa gorge opulente palpitait. Ayant à peine mâchillé l’aiguillette du canard que Maximilien, à la prière de la maîtresse de poste, avait dextrement découpé et réparti entre les convives, elle repoussa brusquement son assiette. Pour finir, après avoir pris soin de morguer son agaceur, elle adressa un bonsoir circulaire à la compagnie.
     
    Lorsqu’ils eurent achevé de souper, Victor et son nouveau compagnon sortirent faire quelques pas sur la place du village. Les grillons en signe de liesse avaient poursuivi tard leur obsédante gratterie et la pénombre légère d’un beau crépuscule de fin d’été enveloppait tout de sa bienfaisante tiédeur.
    Le jeune proscrit, que le vin et la joie rendaient téméraire, demanda au chevalier ce qui le poussait sur les routes.
    – Un paradoxe, lui répondit celui-ci, un de plus, car si vous avez loisir de me mieux connaître, vous vous apercevrez que ma vie ne fait qu’un long tissu de contradictions. Dernier rejeton d’une nombreuse et antique famille du Béarn – Carresse se trouve à moins d’une lieue de Salies – je n’avais de penchant ni pour les armes ni pour le sacerdoce. Vous conviendrez avec moi qu’il reste dans ce cas bien peu de voies ouvertes au cadet d’une noble lignée qui ne se résigne pas plus à déchoir en prenant l’état de roturier qu’à demeurer dans le château de son aîné pour courir la futaine 13 . Mon père, de qui je fus le grand souci mais dont la bonté ne s’est jamais lassée de mes frasques, me choyait avec la faiblesse qu’un vieil homme nourrit souvent pour le dernier né de sa progéniture. Il n’a jamais cherché, par exemple, à me détourner de la lecture des romans dont maintes personnes s’employaient à le convaincre qu’ils me gâtaient l’esprit. Lorsque j’eus accompli dix-huit ans, il me fit entrer par son lointain cousin, Gontaut-Biron, dans les bureaux de monsieur d’Hozier, persuadé qu’à défaut d’y satisfaire mon goût du romanesque, j’y pourrais utiliser le peu de lettres qu’une jeunesse rêveuse m’avait inculqué… Vous connaissez, je pense, la fonction de celui que je viens de nommer ?
    Victor fit signe que non.
    – Dans ce cas, reprit le chevalier, je vous explique en peu de mots : monsieur d’Hozier est le juge d’armes de France. Le roi l’a chargé de vérifier la qualité des membres de sa noblesse et de débusquer parmi eux les usurpateurs. Cette chasse est d’un gros rapport pour l’État puisque ceux qu’on ravale dans la roture doivent incontinent payer l’arriéré, parfois considérable, des impôts et tailles auxquels, en se faisant passer pour gentilshommes, ils se sont injustement soustraits.
    – Vous devez être le témoin de choses bien extraordinaires ! s’exclama Victor les yeux écarquillés.
    – Détrompez-vous ! rien de moins aventureux, ni de plus morne que ma tâche… Je ne cesse de me transporter de château en château, insolemment accueilli par des hobereaux joufflus et prétentieux qui enragent à l’idée que l’on osât seulement fureter leur paperasse.
    – Pour ma part, reprit le fils du comte de Gironde, je trouve que tout ce que vous accomplissez est utile.
    – Bigre ! ricana le chevalier, dites-moi comment vous voyez la chose, cela me distraira sûrement.
    Victor, comme s’il appréhendait d’argumenter devant cet inconnu qui se montrait si leste à entrelacer les idées, marqua un temps d’hésitation.
    – C’est que, finit-il par se risquer, lorsque vous démasquez de faux nobles, vous distinguez du même coup les personnes de bonne extraction. Grâce à vous, le roi peut à tout instant savoir où se trouvent les soutiens naturels du trône et, par là, ceux qu’il a le devoir de combler de ses faveurs.
    Le chevalier, dardant sur son jeune interlocuteur un œil qui, dans la pénombre, s’était mis à jeter des étincelles, cessa brusquement de marcher.
    – En voilà des rabâcheries ! gronda-t-il, est-ce encore votre oncle abbé
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