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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers
Autoren: Jean-Paul Desprat
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revint à son tour mais d’un pas lent. Entrant dans la salle commune, il y retrouva les plus ivrognes d’entre les vachers qui jouaient aux dés les derniers verres d’un abominable casse-patte 15 que leur versait madame Costes en levant haut le coude.
    Juste comme il s’apprêtait à monter, son oreille fut frappée par l’éclat d’un rire nerveux et cristallin qui tranchait sur le sourd grognement de cette irréductible tablée. Tournant alors la tête, il découvrit, installé au milieu de ces blousiers, à boire et à s’esclaffer plus qu’aucun, l’abbé de la table d’hôtes, tout à fait départi à cet instant de son maintien austère.
    – Voici décidément un autre singulier personnage ! pensa-t-il en gravissant fourbu l’escalier qui menait à sa chambre.
     
    Le jeune proscrit, qui pendant toute sa bienheureuse nuit, n’avait été troublé ni par l’infernale ronde des rats dans le grenier, ni par le cri des vachers repartis avant l’aube en poussant leurs troupeaux, fut réveillé par un rayon de clarté chaude glissant sur son visage. Le jour qu’il voyait poindre lui parut marquer l’aube d’un siècle : un sommeil vide de rêve avait émoussé son chagrin et son cœur déjà n’était plus tant oppressé. Récupérant ses vêtements jetés épars sur le sol, il courut s’asperger la frimousse d’une eau déjà tiédie, puis rassembla, en les nouant, ses cheveux redevenus lisses. Il bondit ensuite sans autre apprêt jusqu’à la porte du chevalier à laquelle il gratta précautionneusement.
    Au bout de quelques secondes, comme rien ne paraissait devoir bouger, il fit pleuvoir de ses deux poings une fouettade de coups de plus en plus sonores. Ce tumulte n’eut pas de meilleur résultat et l’enthousiasme qui consumait son cœur s’étouffa d’un coup : sa sacoche lui coula des doigts et, frappé à cette seconde par l’image brève mais cinglante d’une route poussiéreuse sur laquelle il avançait solitaire, il s’adossa sans souffle au chambranle de la porte.
    Le chevalier finit par apparaître. On l’eût dit sorti du sommeil d’un hiver. Il était en simple culotte, sans perruque, le cheveu ras, son torse imberbe tendu d’une peau de lait semée de taches de son.
    – Vous, déjà si fringant à cette heure ! gémit-il en bâillant sans se contraindre, je dormais comme un sabot.
    – Mais il est grand-temps de partir, protesta le visiteur si contrarié alors qu’il devait faire effort pour contenir ses larmes.
    Carresse, le voyant à ce point troublé, partit à rire :
    – Sot que vous êtes ! je vous promets d’être en selle, à vos côtés, dans un quart d’heure.
    Victor, à peine la porte entrouverte, avait reconnu cette suave odeur de lilas qui, la veille, avait embaumé toute la table d’hôtes. Jetant un regard subreptice par-dessus l’épaule de son compagnon tandis qu’il se frottait les yeux, il aperçut la belle voyageuse. Elle était alors toute dévêtue de sa robe à pretintailles et reposait mollement sur un lit à colonnes que venait éclabousser une lumière filtrée par des rideaux écrus. S’étirant avec des mouvements de chatte heureuse, elle découvrait des épaules à la blancheur de lis qui affleuraient d’un gros drap dix-huitain 16 de chanvre.
    Notre héros, flatté qu’un aussi habile dénicheur de fauvettes ait daigné si rapidement le ranger au nombre de ses confidents, redescendit troublé, méditant pour la première fois tout de même sur l’inconséquence de ceux qui se livrent aux agaceries sentimentales.
    Le chevalier, respectueux de sa promesse, parut peu après sur le balcon, le sourire accort, sifflotant, la mine dégagée. Il ne fallut ensuite que quelques minutes aux deux hôtes du Lion d’Or pour se retrouver en plein causse, à galoper au travers de la lande tourmentée qui s’étend de Turenne à Noailles.
    – Observez cet espace jonché de silex et de chardons ! s’exclama le chevalier en découvrant à Victor, depuis un mamelon, une vaste étendue dévorée de soleil, jadis vivaient ici deux lignées de gentilshommes à lièvres 17 , tenaillées par la faim et enrageant de leur misère. Ils ont fini par s’enfuir pour chercher meilleure fortune et vous savez, je pense, que Noailles et Turenne comptent, depuis, parmi les plus grands noms de France. Les descendants de ces pauvres gens vivent aujourd’hui dans de somptueux palais et aucun d’entre eux, de sa vie, n’a eu la plus petite idée de ces
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