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Le Manuscrit de Grenade

Le Manuscrit de Grenade

Titel: Le Manuscrit de Grenade
Autoren: Marianne Leconte
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de corps de garde la renseigna. Il était là, tout près d’elle, allongé dans l’un des canaux d’eau courante, trempé, hagard et de mauvaise humeur. Rassurée, elle éclata de rire puis chercha des yeux Isabeau. Couchée en chien de fusil au pied d’une colonne, la jeune fille dormait encore.
    Non loin de la fontaine, une silhouette de cristal vert sombre projetait son ombre menaçante sur le dallage de marbre. Myrin frissonna en reconnaissant la silhouette maigre et efflanquée de Mahmoud qui dominait une dizaine de corps allongés sur le sol, Boabdil et ses gardes. L’hidalgo, debout au centre du cercle, tendait la main au sultan pour l’aider à se relever. Pendant qu’elle triturait sa mémoire pour comprendre les événements de la nuit, Isabeau s’éveilla, s’étira, puis jeta un rapide coup d’œil autour d’elle. Myrin sourit. Son amie vérifiait que Manuel était dans les parages. Une fois rassurée, Isabeau vint s’asseoir à ses côtés :
    — Grâce à Dieu, jeunesse et beauté t’ont été rendues. Où sommes-nous ?
    — Comme tu peux le voir, à Grenade dans la cour des Lions du palais de l’Alhambra. Quant à savoir si la cité est toujours au même endroit, je l’ignore.
    — Toutes ces aventures, ces mystères, ces miracles, pour rien ? Cela paraît impossible. Le spectacle était extraordinaire, même si je n’ai pas compris ce qu’il signifiait. Crois-tu que nous soyons encore prisonniers ?
    La voix du sultan s’éleva, forte et sereine.
    — Vous êtes libres ! Je vais partir ce matin même avec mes femmes, mes gardes et mes enfants. Nous traverserons la Méditerranée pour nous installer en Berbérie. Nous y commencerons une autre vie, si mes futurs hôtes nous en laissent le loisir.
    L’inquiétude qui perçait dans sa voix déconcerta Myrin. On y sentait un désir de décider enfin de son existence et un doute sur les volontés de ceux qui acceptaient de l’accueillir. Boabdil était faible et influençable, mais la naïveté ne faisait pas partie de ses défauts. Il savait que certains seraient tentés d’utiliser l’émir des croyants pour renforcer leur puissance. Pourtant l’homme avait changé. Délivré des chaînes maternelles et des peurs que lui inspirait le sorcier, il semblait plus sûr de lui.
    — Vous allez vraiment vous exiler ? demanda-t-elle avec sollicitude.
    — J’ai signé un traité de paix avec les Rois Catholiques, je le respecterai.
    Sachez que le nécromant vous a menti. Aucun sorcier au monde n’aurait pu ressusciter votre parfumeuse. Dites-le bien à votre ami Pedro. Mon dernier acte, avant de quitter les lieux, sera de détruire toutes les statues afin de libérer les âmes emprisonnées dans leurs cages cristallines. Que celle de Mahmoud se consume éternellement en enfer.
    Un cri de joie interrompit leur discussion. Tout en parlant avec le sultan, Myrin s’était penchée sur la fontaine pour se rafraîchir et vérifier la jeunesse de son visage. Sa bague brillait au fond du bassin. Elle s’en saisit, la passa à son doigt puis replongea la main dans l’eau pour en retirer la loupe que Khider avait donnée au maître d’armes. Rayonnante, elle sauta sur ses pieds, courut vers lui et lui tendit l’objet.
    — Je crains qu’elle n’ait plus aucun pouvoir, mais elle t’appartient.
    Pedro, tête baissée, semblait sourd, aveugle et muet. Plongé dans ses souvenirs, il fixait d’un air lugubre la silhouette du nécromancien. Inutile d’être une sorcière pour suivre le cours de ses pensées songea Myrin. Le guerrier rescapé de tant de batailles se sentait responsable de la mort de Yasmin. Il l’avait laissée seule face à une dizaine de soldats. Une adolescente trop sûre d’elle. Quinze ans, l’âge où l’on s’imagine encore invincible. Elle avait pourtant accompli un exploit incroyable en les sauvant d’un destin affreux.
    Au bout d’un instant, il prit enfin conscience de sa présence. Elle vit qu’il faisait un effort pour refouler sa tristesse et revenir dans le monde des vivants. Il remarqua sa paume ouverte, la pierre de lune, la loupe. Une larme coula sur sa joue. Un long soupir lui échappa avant de lever la tête pour affronter la vieille femme que Myrin était devenue. Enfin il la vit, une rousse magnifique dans l’éclat de ses vingt ans.
    Heureuse, elle se jeta dans ses bras, l’enlaça brièvement avant de plonger dans ses yeux noirs en disant d’une voix émue :
    — Nous ne
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