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Le Manuscrit de Grenade

Le Manuscrit de Grenade

Titel: Le Manuscrit de Grenade
Autoren: Marianne Leconte
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amour immense pour tout ce qui l’entourait, les personnes, les fleurs, les guipures si fragiles des murs, les lions, la fontaine et ses ruissellements enchanteurs, le ciel étoilé et son phare lumineux.
    Il sentit aussi que les personnes présentes, amies et ennemies, partageaient la même expérience et communiquaient de conscience à conscience, toute prison corporelle abolie. Euphorique, il se relaxa pour ouvrir ses barrières mentales et communier avec ses compagnons. Les fugitifs vibraient en harmonie, mais il se heurta à deux esprits hostiles qui luttaient de toutes leurs forces contre l’amour qui baignait les âmes présentes.
    Il s’ouvrit encore davantage, lançant des tentacules invisibles vers la source de ce don incroyable. Et soudain il communia avec la magicienne aux parfums. Animée d’une volonté indomptable, son âme avait réussi à traverser le tabernacle de cristal qui l’emprisonnait pour sauver les élus d’Abraham. Hélas ! sa lutte mentale contre le mage et la sultane l’épuisait et ses réserves d’énergie baissaient dangereusement. Des craquements sinistres retentirent. La statue commençait à se fendiller.
    Manuel entendit le rugissement de joie du sorcier et ressentit le désespoir de Yasmin qui perdait du terrain. Une vision atroce s’implanta dans son cerveau : la statue de cristal se brisait en mille morceaux et l’âme de la jeune ensorceleuse s’éteignait, les abandonnant aux griffes du sinistre nécromant. Il sut alors ce qu’il devait faire. En deux enjambées, il se plaça devant Mahmoud qui, les yeux fermés et les lèvres entrouvertes, s’efforçait de renvoyer son parfum vers Yasmin. Il plaça le goulot de la flasque dans la bouche du mage et y versa le contenu. Comme il s’y attendait, les réflexes prirent le pas sur la réflexion. L’homme avala le liquide olivâtre, tenta de le recracher dans un haut-le-cœur, mais c’était trop tard. Sa chair, ses organes, ses muscles commençaient leur transformation. Au même moment, la silhouette cristalline de Yasmin explosa en milliers de rubis rouge sang, libérant une petite fleur blanche qui scintilla comme une luciole, puis s’envola vers les étoiles.
    Déliées de l’envoûtement floral, les personnes présentes se regardèrent, hébétées. Le lien mental était rompu, mais chacun conservait dans sa tête l’image d’une étoile étincelante qui s’échappait d’un ruissellement d’éclats écarlates. Émerveillement, tristesse et joie. Manuel avait du mal à retrouver ses esprits. Isabeau lui sauta au cou en sanglotant.
    — Vous êtes vivant.
    — Mon cher Luis, vous m’étouffez. Ne m’auriez-vous point aimé en vert ?
    La vue de Pedro et Myrin, blottis dans les bras l’un de l’autre, un grand guerrier musclé et farouche étreignant une petite silhouette fragile, leur fit l’effet d’une pluie glacée. La vue de cet amour désormais impossible entre un homme vigoureux et une très vieille dame les bouleversa. Gênés de montrer l’image d’un couple jeune, heureux et épris, ils se séparèrent sans pourtant s’éloigner l’un de l’autre.
    Un hurlement de tigresse blessée couvrit les paroles que Myrin murmurait à l’oreille de son compagnon.
    Debout devant la statue de Mahmoud, d’une immonde couleur verdâtre, la sultane mère s’arrachait les cheveux, se griffait les joues, alternant cris et gémissements, pleurs et menaces. Personne ne savait comment réagir. Son fils, qui se tenait à l’écart depuis le début, fixait le ciel d’un œil morne. Soudain, elle commanda aux gardes d’une voix aiguë :
    — Emparez-vous des prisonniers et jetez-les au cachot. Ils seront décapités demain à l’aube.
    Cet ordre sortit Boabdil de sa torpeur. Il se redressa, leva le bras pour arrêter ses soldats et s’exclama :
    — Ne les touchez pas ! Il se tourna alors vers sa génitrice : vous semblez oublier, Madame, que je suis le sultan de Grenade et que c’est moi qui donne les ordres.
    — Et toi, tu sembles oublier que tu me dois ton trône, répondit-elle d’une voix altière.
    Elle blêmit sous le feu de son regard rempli de mépris et de haine.
    — Sans Mahmoud et ses pouvoirs magiques, vous n’êtes plus rien ! Mes soldats vont vous accompagner dans vos appartements dont ils garderont les portes. N’essayez pas d’en sortir, vous le regretteriez.
    En d’autres circonstances, El Chico , l’enfant, comme l’avait surnommé la rumeur publique, aurait pu
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