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Le Manuscrit de Grenade

Le Manuscrit de Grenade

Titel: Le Manuscrit de Grenade
Autoren: Marianne Leconte
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Prologue
    D ANS LE GRAND LIT À BALDAQUIN , une femme hurlait. Ses cris couvraient les conseils angoissés des servantes qui l’entouraient. Le visage brillant de sueur et de larmes, déformé par les efforts douloureux qu’elle faisait depuis des heures pour expulser son bébé, doña Maria de Guzman di Como, marquise de Jerez, sentait ses forces l’abandonner. Épuisée par ses souffrances, elle envisagea un instant de partir ; se laisser glisser, en finir avec cette épreuve, trouver la paix et rejoindre le Seigneur dans un ciel sans nuage. Mais la vision de sa petite dernière, une blondinette de cinq ans aux yeux bleus pétillants de malice, lui redonna courage. Elle fit un effort pour supporter la brûlure atroce qui enflammait à nouveau ses reins et ses entrailles et tourna la tête vers son mari. L’Italien se tenait en retrait, à demi dissimulé derrière la haute silhouette blanche et noire de son directeur de conscience. Le désir de vivre de doña Maria était si puissant que sa foi vacilla. Oubliant les lois édictées par les Cortes, bravant les interdits de la Sainte Inquisition, elle supplia une fois de plus son mari de faire venir Tchalaï de Luz.
    Malgré la faiblesse de sa voix, toutes les personnes présentes dans la grande chambre l’entendirent et frémirent. La femme penchée sur son bas-ventre recouvert d’un drap blanc gorgé de sang se signa en marmonnant une prière, tandis qu’une jeune esclave lui tamponnait le front et les joues avec un linge mouillé. Impavide, la fille accomplissait sa tâche en silence, mais ses gestes étaient empreints de douceur.
    Sandro di Como, marquis de Jerez grâce à son mariage, fit quelques pas vers le lit, contempla les traits livides de son épouse, ses cheveux trempés, son regard clair embué de larmes. Il maudit en silence le destin qui avait chassé sa famille de Lombardie et le Saint-Père de Rome. Le retour de la papauté en Avignon avait décuplé la puissance de l’Inquisition et personne n’était à l’abri de ses flammes. Depuis l’élection de Tomas de Torquemada au trône de Saint-Pierre, c’était pire. Honteux de sa propre peur, le maître des lieux se tourna vers l’homme de Dieu comme pour lui demander par avance son pardon, puis d’une voix forte donna l’ordre que l’on allât chercher à cheval le médecin juif dans la Juderia.
    En entendant ces mots, le Grand Inquisiteur poussa un soupir de découragement et se signa. Confrontée à la souffrance et à la mort, l’âme faiblissait et le diable, à l’affût, en profitait. Au lieu de s’en remettre à la volonté divine, sa protégée allait se souiller au contact d’une hérétique… Mais cet acte répréhensible pourrait avoir des conséquences intéressantes. Dans la décision prise par un époux désespéré, Alonso Jimenez voyait le doigt de Dieu. Le Très-Haut lui montrait la voie à suivre et l’encourageait à accomplir sa mission d’un esprit ferme. Plein de ferveur et d’humilité, il murmura la devise des Dominicains, veritas , puis rajusta son manteau noir sur ses épaules, saisit le chapelet qui pendait à sa ceinture de cuir et pria pour l’âme de la pécheresse en égrainant les perles en bois de son rosaire.

1
    Isabeau
    P ENCHÉE SUR L’ENCOLURE DE SA JUMENT GRISE , Isabeau s’engouffra dans la grange située hors les murs du palais. Une fois à l’abri des regards, la cavalière sauta sur le sol, ôta la capuche qui dissimulait ses longs cheveux blonds et son statut de demoiselle. Après avoir nourri et abreuvé sa monture, elle enleva à la hâte bottes souples et habits de page. La tunique bleu ciel et les hauts-de-chausses gris, aux couleurs de Jerez, lui permettaient de chevaucher en toute liberté. Dans l’Andalousie de 1491, reconquise en grande partie par les Rois Catholiques, Isabelle de Castille et son époux Ferdinand d’Aragon, les jeunes filles nobles n’avaient pas l’habitude de galoper seules à travers champs.
    Ce déguisement ne trompait personne, ni le petit peuple qui servait au château, ni les courtisans et les nobliaux sans fortune qui travaillaient pour son oncle. Mais les apparences étaient sauves. Tant qu’elle aurait le soutien de la châtelaine, on respecterait sa personnalité et ses habitudes. Après tout, c’est elle qui aurait dû diriger le domaine à la mort de ses parents… Mais l’étrangeté physique d’Isabeau avait permis à son oncle par alliance de revendiquer, au nom de son épouse,
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