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Le Manuscrit de Grenade

Le Manuscrit de Grenade

Titel: Le Manuscrit de Grenade
Autoren: Marianne Leconte
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sœur cadette de doña Béatrix de Guzman, le marquisat de Jerez. Avec promesse de les lui rendre si Isabeau se mariait et engendrait des enfants.
    La balade lui avait fait du bien. Les griffes d’aigle qui comprimaient sa poitrine avaient relâché leur étreinte. La douleur avait disparu. Sur sa chemise en toile fine, Isabeau enfila une robe à volants, d’un vert d’eau semblable à ses yeux. Quand elle accrocha autour de sa taille la chaîne en argent qui maintenait ses objets personnels, le cliquetis de son trousseau de clés lui rappela combien sa façon de s’habiller était désuète. Malgré les pressions de son entourage, la jeune fille n’avait pu se résigner à adopter la nouvelle tenue à la mode, chemisier ajusté et verdugo. La jupe à cerceaux de bois lui semblait à la fois inesthétique et inconfortable.
    Une fois de plus elle regretta de ne pas être un garçon. La vie serait tellement plus simple. Tout en laçant fébrilement son corset, elle chaussa ses souliers de satin, puis séparant d’un geste mécanique sa longue chevelure en deux tresses, elle les enroula sur ses oreilles. En quittant la grange, Isabeau caressa le poil soyeux de sa jument et lui posa un baiser près de l’oreille. L’animal hennit joyeusement et frotta ses naseaux contre le cou de sa cavalière.
    Assoiffée par sa course, elle quitta rapidement l’écurie, contourna le donjon et franchit la muraille par la petite porte qui donnait sur le jardin potager. Elle le traversa pour rejoindre l’aile gauche de l’Alcazar. Une merveilleuse idée de sa tante, cette traversée des réserves et des cuisines. Ses escapades y passaient inaperçues parce que les lieux étaient soit vides, soit au contraire surpeuplés.
    Cette pensée lui rappela brusquement les raisons de son angoisse. Son visage s’assombrit. Depuis douze heures, la sœur cadette de sa mère était en proie aux douleurs de l’enfantement. Depuis douze heures, elle suppliait son époux d’appeler la femme qui avait mis au monde son premier enfant. Mais les temps avaient changé. Une loi interdisait désormais aux médecins juifs de soigner les chrétiens.
    Dressé au pied du lit de la malheureuse qui hurlait, le confesseur de sa marraine, devenu Grand Inquisiteur d’Andalousie, avait martelé d’une voix métallique où couvait une haine palpable :
    — Cette accoucheuse est juive ! Vous ne pouvez l’appeler au chevet d’une noble d’Espagne. Vous devez montrer l’exemple.
    D’une voix faible, la marquise de Jerez avait protesté :
    — Dame de Luz est le meilleur médecin de la ville.
    — Un sang impur court dans ses veines avait répliqué le dominicain d’un ton sans appel.
    Le marquis avait baissé la tête ; le procès en sorcellerie n’était pas loin.
    Furieuse de sa lâcheté, et ne supportant plus les cris de souffrance de sa tante, Isabeau s’était éclipsée pour galoper le long des vignes et des vergers qui entouraient Jerez de la Frontera.
    On approchait du solstice d’été et en ce début d’après-midi, il faisait une chaleur intense. Toute personne sensée se réfugiait dans une chambre sombre derrière des volets clos. L’heure de la sieste, sacrée en Andalousie, convenait à la jeune fille et lui évitait des rencontres désagréables.
     
    À cette heure-là, les cuisines étaient livrées à une escouade d’esclaves silencieuses. Les unes lavaient assiettes, plats et casseroles, les autres nettoyaient le sol à grande eau, pendant que des apprenties épluchaient, râpaient et coupaient les légumes pour la potée du souper. En passant devant l’immense cheminée qui accueillait simultanément plusieurs grands chaudrons, Isabeau reconnut la silhouette généreuse de Tchalaï. À l’aide d’une louche, la guérisseuse transvasait un bouillon d’herbes dans un pichet d’étain.
    Soulagée, la jeune fille se précipita pour embrasser celle qui l’avait aidée cinq ans auparavant à surmonter la mort de ses parents.
    Sa présence chaleureuse et attentive avait sauvé son âme en lui ôtant l’envie de rejoindre ses chers disparus. Hélas ! aucun remède n’avait pu guérir son corps, redevenu impubère en une nuit. Les années avaient passé, mais sa féminité n’était jamais revenue. Plus grande que la moyenne, elle ressemblait davantage à un adolescent qu’à une demoiselle, bien qu’elle fût en âge de se marier. Poitrine plate et hanches minces, musclée par la pratique du cheval et le maniement
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