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Le Livre De Ma Mère

Le Livre De Ma Mère

Titel: Le Livre De Ma Mère
Autoren: Albert Cohen
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était alors si jolie, ma vieille Maman qui se
mouvait avec peine, ma Maman.

 
III
    Ce
que je viens de me raconter, c’est un souvenir du temps où ma mère était déjà
vieille et où j’étais un adulte, déguisé en fonctionnaire international. Je
venais, de Genève, passer une partie de mes vacances à Marseille, chez mes
parents. Ma mère était heureuse de ce que son fils, qui avait, pensait-elle
avec beaucoup d’exagération, une si noble situation chez les Gentils, acceptât
de bon cœur d’aller chaque sabbat à la synagogue de Marseille. Je l’entends qui
me parle.
    «
Dis-moi, mon fils, à Genève, montes-tu aussi à la Maison de l’Éternel? Tu
devrais, je t’assure. Notre Dieu est très grand, tu sais, et c’est un Dieu
saint, c’est le vrai Dieu, il nous a sauvés du Pharaon, c’est un fait connu et
la Bible le dit Écoute, mon fils, même si tu ne crois pas en notre Dieu, à
cause de tous ces savants, maudits soient-ils, eux et leurs chiffres, va tout
de même un peu à la synagogue, supplia-t-elle gentiment, fais-le pour
moi. » Au fond, en ma participation, même athée, aux cérémonies
religieuses, elle voyait surtout une assurance contre les bronchites dont
j’étais atteint chaque hiver.
    «
Et dis-moi, mes yeux, cette situation que tu as en ce Bureau International du
Travail, comment s’appelle-t-elle, cette situation? (« Attaché à la Division
diplomatique », répondis-je. Elle rayonna.) Par conséquent, les douaniers ne
peuvent rien contre toi, je suppose? Tu passes et ils s’inclinent. Quelle
merveille du monde! Dieu soit loué qui m’a donné de vivre jusqu’en ce jour! Si
ton grand-père de bonne mémoire, qu’il repose en paix, si ton grand-père
vivait, comme il serait content! Parce que même lui, le notaire royal de
Corfou, le révéré, eh bien, il devait ouvrir ses valises à la douane. C’était
un homme de savoir, tu aurais eu du plaisir à causer avec lui. Alors demain, si
tu veux, je te ferai du nougat au sésame. Fortifie-toi, mon chéri, pendant que
tu es chez nous. Dieu sait quelles nourritures mal lavées ils te donnent dans
ces restaurants de luxe de Genève! Dis, mon enfant, à Genève, tu ne manges pas
de l’innommable? (Traduction : porc.) Enfin, si tu en manges, ne me le dis
pas, je ne veux pas savoir. »
    «
Et maintenant, mon fils, écoute ma parole, car les vieilles femmes sont de bon
conseil. En cette Division de la Diplomatie, tu as un chef, je pense? Eh bien,
s’il te dit quelquefois un mot de trop, ne te mets pas en colère, supporte un
peu, parce que si tu lui réponds mal, la bile lui monte à la cervelle et il te
hait et Dieu sait quelle langue de vipère il a et quel poignard il prépare pour
ton dos! Que veux-tu, nous devons supporter, nous autres. Il te va bien, ce
chapeau. » Et comme je souriais, elle ajouta en soupirant : « Comment
pourraient-elles, les malheureuses, résister à ce sourire? » Partiale, elle me
scrutait tendrement, imaginait ma vie passionnelle, craignait pour moi des
coups de revolver de ces filles des Gentils, si belles et instruites, mais
jalouses et hardies, et qui avaient la manie, emportées par leur passion, de
vous tuer un fils en quelques secondes, pour un oui ou pour un non.
Redoutables, ces filles de Baal qui ne craignaient pas, on le lui avait
affirmé, de se mettre nues devant un homme qui n’était pas leur mari. Toutes
nues et fumant une cigarette! De vraies lionnes! « Dis-moi, mon enfant, ne
penses-tu pas que ce serait une bonne chose que tu ailles faire une petite
visite au Grand Rabbin? Il connaît de bonnes jeunes filles paisibles, bonnes
maîtresses de maison. Cela ne t’engage à rien. Tu les vois, si elles ne te
plaisent pas, tu remets ton chapeau et tu t’en vas. Mais, qui sait, peut-être
que Dieu t’en a destiné une? Il n’est pas bon, tu sais, que l’homme vive seul.
Je voudrais mourir tranquille, savoir que tu as une vertueuse personne auprès
de toi. » Devant mon silence, elle soupira, tâcha de repousser l’image d’un
revolver brusquement surgi du sac à main d’une lionne à demi nue et elle s’en
remit à l’Éternel, au Puissant de Jacob, qui avait tiré le prophète Daniel de
la fosse aux lions. Il me sauverait bien des lionnes. Elle se promit d’aller à
la synagogue plus souvent.
    Elle
était déjà vieille en ce temps-là, petite, et de quelque embonpoint. Mais ses
yeux étaient magnifiques et ses mains étaient mignonnes et j’aimais baiser ses
mains. Je
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