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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines
Autoren: Pierre Naudin
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déception… Il semble que vous ayez un oncle, prisonnier depuis longtemps, mort peut-être, en Angleterre… Je serais heureux que tout cela vous permît de recouvrer la mémoire, sans oublier pour autant notre rencontre !
    — Seul le nom d’Harcourt m’est connu… Je dois moult détester cet homme…
    — Qui sait ?… Mais pardonnez-moi : je parle trop et vous voilà fatigué. Faible comme vous l’êtes, vous dormirez pendant la traversée, messire Roland de Sangatte… Vous quitterez Calais après midi… Dormez… Je vous abandonne ma ceinture d’armes et ce fourreau…
    Le blessé voulut dire un mot ; il avait trop présumé de ses forces : la chambrette se mit à tanguer, à chavirer autour de lui sans que la mer en fût cause.
     
    Quand il reprit conscience, quelqu’un lui bassinait les tempes avec un linge imbibé d’eau sédative. « Voilà une médication superflue », songea-t-il en gardant ses paupières closes. Sur les lattes du plafond retentissaient les pas d’un marinier dans l’accastillage de poupe et des trottinements de petits talons.
    C’était agréable de « faire le mort ». Ainsi se refusait-il la moindre pensée maussade. Sa vie passée, un jour, réintégrerait sa mémoire. Il suffisait d’attendre et de savourer, pour le moment, les sensations de froid picotant son front, son menton, puis brève, inopinée, cette aventureuse pesée d’un corps contre le sien, et sur ses lèvres la légère caresse d’une bouche tiède, suivie d’un long soupir de plaisance ou de repentir.
    « Non, reste à sommeiller : il se peut que tu rêves. »
    Il savait qu’il ne rêvait pas : une femme l’avait baisé avec plus de ferveur que de curiosité.
    Quelque chose remua : l’escabelle qu’elle éloignait de son chevet.
    À travers ses paupières entrouvertes, dans la lumière bleue de la nef courant sur les flots, il découvrit une jouvencelle occupée à reboucher une fiole. Comme pour donner plus d’évidence à sa virginité, elle était vêtue de blanc. Elle se détourna, avança vers le lit. Elle était brune, les cheveux follets, les yeux noisette. Dans son visage ovale au teint de lait, ses lèvres dont le pli pouvait être un sourire avaient l’éclat des perles et le teint des cerises. Ses sourcils étaient épilés tout entiers.
    — Messire, allez-vous mieux ?
    Le balancement doux et profond du navire la faisait se déhancher. L’on eût dit qu’elle jouait. D’ailleurs, elle souriait comme une enfant heureuse et semblait avoir oublié ce baiser qu’elle lui avait pris avec l’exigence d’une femme et la douceur d’une fillette.
    — Je vais un peu mieux, damoiselle Odile.
    — Vous avez retenu mon nom !
    — C’est la preuve que ma mémoire n’a point subi de dommages définitifs.
    Il s’était exprimé sans hésitation, décidant tout à coup de s’accorder une trêve dans sa quête obstinée du passé. Il finirait bien par savoir quels gens avaient peuplé sa vie. Mais pourquoi, en présence de la jouvencelle, découvrait-il avec surprise que si leur souvenir avait soudain envahi son cerveau, il en eût été contristé ? Il n’était, à dire vrai, ni disposé à parler ni en état de méditer sur les vraisemblances et les impossibilités de ce qu’il pouvait appeler sa vie antérieure. Dans les flancs de ce vaisseau craquant, grinçant, couinant de toutes ses membrures, il se sentait dériver vers des infinis ténébreux : comment pourrait-il mettre un terme à sa captivité ? Il eût fallu au moins qu’il connût sa famille… Qui, dans l’ignorance de son infortune, pouvait acquitter sa rançon ?
    — Quel jour sommes-nous, damoiselle ?
    — Le vendredi 24 août dans la mi-journée… Vous êtes demeuré en danger fort longtemps. J’ai appris que pour vous maintenir en vie l’on vous a fait boire petitement du sang et du lait de jument. Nul n’osait croire à votre guérison, pas même le mire qui vous soignait. Des chevaliers venaient vous regarder… comme une chose rare. Mon oncle, Guillaume de Bohum, comte de Northampton, prétendait que votre résistance avait des limites ; Masny s’obstinait à vouloir vous sauver afin de se prouver qu’il est homme de cœur… Mais je pense qu’avoir du cœur, c’eût été vous libérer. Or, il vous tient pour un otage… valeureux.
    Odile de Winslow eut un rire pointu, triomphant, qui différait de sa voix compassée.
    — Calais est aux Anglais ! Savez-vous, damoiselle,
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