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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines
Autoren: Pierre Naudin
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vent : une espèce de scie très fine qui s’acharnait à découper le ciel…
    — Je vais devoir vous quitter. Damoiselle Odile de Winslow est porteuse d’une lettre destinée à mon épouse. Elle vous accueillera. Il vous faudra, comme il est d’usage, acquitter une rançon dont je ferai en sorte qu’elle ne soit pas démesurée… Pour le moment, vous vous devez et vous me devez de guérir… Hé là !… Prêtez-vous quelque intérêt à ce que je vous dis ?
    Un clignement des paupières.
    — Bien… Vous nous haïssez, n’est-ce pas ?
    Quelle question inopinée ! Elle nécessitait une réponse droite :
    — Je n’ai jamais nourri de la haine envers vous. Cependant vous avez répandu sang et ruines… Revenez tous dans votre île et laissez-moi périr en cette cité qui me paraît vide et morte…
    — La guerre, messire… Roland, est un jeu terrible. Vous ne sauriez ignorer que la plupart des hommes en sont épris, comme certains d’entre eux sont friands d’une maîtresse qui les subjugue, les épuise et les humilie. La guerre est un plaisir inavouable. Nous acceptons sans trop barguigner les événements dans lesquels elle nous précipite. Elle nous permet de nous voir tels que nous sommes. C’est grâce à elle que nous connaissons nos défauts et nos qualités… Ainsi, vous ! Vous êtes généreux, hardi, d’une bachelerie rare [16] … Vous vivrez car Dieu connaît vos mérites.
    Gauthier de Masny dégagea son épée du fourreau.
    — Ce n’est pas la mienne… C’est la vôtre… Confiance, si j’ai bien compris ce que vous disiez dans votre delirium, comme dit Tilford… Sa perte vous a tourmenté certaines nuits, en trois semaines… Tenez : prenez-la…
    L’Anglais posa l’épée sur le corps du blessé comme il l’eût fait pour un mort ou un mourant. Aussitôt, celui-ci en serra la prise avec une avidité qui tira un sourire à cet ennemi dont il ne concevait pas la mansuétude.
    — Quelle folie d’avoir voulu conquérir cette tour !
    — Devoir d’obéissance. Je ne pouvais m’y soustraire… si je commandais !
    — De vaillants hurons défendaient ce beffroi… Vous devez savoir que nous autres, Anglais, ne faisons nulle différence entre les chevaliers et ces gens-là…
    — La façon dont vous l’affirmez révèle, me semble-t-il, un sévère mépris envers eux !
    — Non… La vérité n’est entachée de mépris que pour ceux qu’elle affecte.
    Ils étaient seuls, maintenant, dans la pénombre qui sentait la cire et la marée. Avec une sorte de passion maladroite et opiniâtre, Gauthier de Masny insista :
    — J’aimerais qu’un jour vous puissiez dire : «  Je connais les Goddons. Ils ne sont guère différents de nous. Leur langage lui-même est le nôtre. » J’aimerais fréquenter votre famille… Cette femme et cet enfant sans nom que vous avez appelé « mon fils »…
    Il acheva d’un mouvement des mains qui signifiait, sans doute, qu’il se savait impuissant à réaliser ce vœu.
    — On va vous apporter un coffre. Il contient quelques vêtements de rechange… que je n’ai pas robés chez les chaussetiers et gipponiers de Calais !
    — Votre roi me destine à la Tour de Londres. Je ne sache pas qu’à défaut d’y vivre en armure, il faille s’y vêtir en bourgeois.
    — Oh ! Oh !… Voilà une réponse acerbe qui prouve, s’il en était besoin, que vous recouvrez la santé !… Souffrez-vous moins ?
    — Je souffre dans mon honneur, messire, plus encore que dans ma chair.
    — Voilà de belles paroles !
    Une rumeur, des heurts sur le pont et la jetée du port donnaient à penser qu’on déchargeait la cargaison destinée à Calais, et peut-être que des passagers montaient à bord.
    — Les cris que vous jetiez parfois lors de cette fièvre si longue, et les mots qui revenaient sur vos lèvres, ne m’ont renseigné que petitement sur vous. Ce que je peux vous dire, c’est que vous avez hurlé Coutances et que votre épouse est blonde… Elle devait vous donner un enfant… Vous avez dit deux ou trois fois Adelis… Il se peut que ce soit le nom de votre femme.
    — Je ne sais, messire… Croyez que j’aimerais vous répondre autrement.
    — Vous détestez notre ancien allié, Godefroy d’Harcourt, bien qu’il soit revenu dans l’obédience du roi de France…
    — Je connais ce nom-là sans lui mettre un visage.
    — Je connais l’homme. Il reviendra dans le giron d’Édouard dès la moindre
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