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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines
Autoren: Pierre Naudin
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flamboyer. Chaque pas des porteurs imprimait alternativement un fer rouge sur l’une de ses épaules. Afin qu’il ne pût tomber, on l’avait lié au torse et aux chevilles, de sorte qu’il ne pouvait tenter de se dérober à ces tourments. Jamais, non, plus jamais il n’aurait la vigueur de tenir une épée !
    Toujours cette foule de gens d’armes.
    Les maisons, maintenant, étaient en pierre et en brique… Il venait de passer sous un porche… Personne aux fenêtres. Des guerriers encore… Quelques pennons et oriflammes : les lis et les léopards… Calais !… Cette cité n’avait donc pas été cernée, libérée par le roi de France et son ost, puisque ces bannières étaient toutes anglaises. Une haute muraille obscure et une vaste coulée de lumière : les maisons semblaient s’écarter… Ces grandes lances dans le ciel… Des mâts. Ces sifflements incessants : le chant du vent dans les haubans et les drisses. Odeur de mer, mais aussi odeur de mort. Comme lorsqu’il avait conquis la tour de Sangatte… Qui était avec lui ? Cent hommes ? Deux cents ? Avait-il à ses côtés un écuyer portant son gonfanon ? Quelles en étaient les armes ?
    Il était vraiment trop las pour fureter dans un passé tout aussi rouge que ces deux voiles qui, sous l’effet du vent, gonflaient leur poitrail palpitant. On s’arrêtait. Tilford se penchait, souriant dans sa barbe grise, pendante sous le menton, mousseuse sur les joues.
    — Pas un mot… Il y va de votre vie de rester quiet…
    Quelque chose craquait, dansait. La passerelle de la nef. On le hissait à bord… Tels les barreaux d’une prison, les chandeliers des rambardes et au-dessus les toiles d’araignée du gréement. « Jamais je ne reviendrai… Jamais ! » Une conversation de circonstance s’engageait entre Gauthier de Masny et le capitaine, sur la prise de la ville et les périls inhérents à un long siège. Un homme avait beaucoup contribué à la reddition des Calaisiens. Il se nommait Eustache de Saint-Pierre.
    — … le roi va le récompenser, soyez-en assuré, Nicholson !
    Puis on descendit des marches. Deux esconses [15] accrochées aux parois de la coursive répandaient, à travers leur corne, une lumière triste et sautillante.
    — Au fond, nous avons logé messire Charles de Blois.
    — Doucement !… Doucement !… Il est vrai que nous manquons d’aises dans ce couloir !… Vous disiez, Nicholson ?
    — La chambre de messire Charles de Blois est la plus grande. Il a fallu qu’il emmène avec lui son médecin, son aumônier, son chambellan. Hier, il a exprimé le souhait de voir notre sire Édouard…
    — Il ne le verra point. Notre roi le déteste. Quand partez-vous ?
    — Le temps de décharger trente barils de vin, cent sacs de froment, cinquante aunes d’étoffes en provenance de Cordoue et des épées, guisarmes et heaumes de Tolède…
    — Comment va dans Bordeaux ? La Guyenne est-elle toujours aussi prompte à nous servir ?
    — Tout est pour le mieux. Jamais Bordeaux ne fut une ville aussi gaie. Mais pardonnez-moi, messire : on siffle sur le pont. Ce sont sûrement le charroi et les hommes du roi qui arrivent… Entrez le blessé dans cette chambrette.
    L’ombre, tranchée par un rayon de soleil sulfureux, tout agité de poussières. Des parois d’un chêne si sombre qu’il semblait noir et rendait leurs limites incertaines. Le ciel dansait derrière le huvelot cerclé de cuivre, pas plus grand qu’un couvercle de bassine.
    — C’est petit. Que faut-il de plus que ce lit ? Une escabelle… La nièce de Northampton, Odile de Winslow, doit embarquer.
    — J’en ai été avisé… Elle n’est pas encore à bord…
    — Elle y sera !… Elle prend congé de sa mère. Elle veillera sur lui… Elle a été prévenue… Elle a accepté…
    — Bien, messire… Et maintenant pardonnez-moi : on a besoin de moi là-haut. Je vous laisse à votre malade.
    Un silence lourd, puis des mouvements, des soupirs : on défaisait ses liens. On le soulevait et le posait sur le lit. Ses plaies, soudain, semblaient se rouvrir et ses douleurs se coudre l’une à l’autre pour former un lacis de mailles brûlantes, sans accroc.
    Il eut peur. Quelque chose d’inconnu, d’oppressant comme le peu de sang qui lui battait les tempes. Cette nef paraissait malveillante et lugubre. Même ici, outre le cri des mouettes, il entendait, au fin fond de son oreille intacte, indéfiniment modulé, le sifflet du
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