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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie
Autoren: Marie Bourassa
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appela Adélie d’une voix sans timbre.
    — Ne t’inquiète pas, ma fille. J’ai envoyé un novice le prévenir. À l’heure qu’il est, il doit savoir que tu es ici.
    « À l’heure qu’il est, il doit être à la taverne et encore assez sobre pour comprendre ce qu’on lui dit », songea-t-il.
    Quel gaspillage. Comment un homme promis à une existence aisée et même heureuse avait-il pu se laisser glisser aussi vite dans une telle déchéance ? Il y avait de quoi douter de la prodigalité du Seigneur envers certaines créatures.
    — Adélie, ces ecchymoses que tu as par tout le corps… Te maltraite-t-il souvent comme cela ? demanda l’abbé.
    Humiliée, la jeune femme détourna les yeux.
    — Il ne m’a pas maltraitée. Je me suis trouvée mal et je suis tombée.
    — Allons, allons, insista-t-il, tu sais bien qu’à moi tu peux tout dire. Cela ne sortira pas d’ici. Cela restera entre nous, d’accord ?
    Il avait beau se répéter que les errances des siècles passés avaient presque transformé les femmes en déités païennes et que ces dernières faisaient tout, que cela fût conscient ou non, pour entretenir cette illusion afin de tromper les hommes, il ne pouvait s’empêcher de croire que certains profitaient honteusement de la doctrine chrétienne pour infliger à leur épouse des châtiments immérités. Décidément, la plupart d’entre elles payaient trop lourd tribut pour la faute d’Ève. «  Néanmoins, elle sera sauvée en devenant mère {5} , se dit-il tristement. Si au moins c’était vrai dans son cas à elle ! »
    — Je fais du mieux que je peux, mon père.
    — Je n’en doute aucunement, ma fille. Manges-tu en suffisance ?
    — Je… je crois. Je n’ai guère faim, vous savez…
    — Il avait encore bu, n’est-ce pas ?
    — Oui, mon père, répondit-elle tout bas.
    — Je parlerai à Firmin. Encore une fois.
    — Oh ! Ne vous donnez pas cette peine. Mon père, vous en faites déjà beaucoup trop. J’ai pourtant demandé à l’infirmier qu’on ne vous importune pas pour moi.
    — Je sais. Il me l’a dit, comme c’était son devoir. Comment se porte ton fils ?
    — Louis s’en tire mieux que moi, mon père. Il croit encore en la vie.
    « Comment peut-il en être autrement ? pensa Antoine. Il en va presque toujours ainsi avec les créatures dotées d’un esprit lent. Le Créateur, dans Son infinie sollicitude, semble leur épargner maintes souffrances que ne peuvent éviter les gens ordinaires. » Pourtant, en dépit du mince réconfort apporté par cette pensée, Antoine ne pouvait s’empêcher de se morfondre. Comment Firmin pouvait-il ne pas apprécier ce garçon vigoureux, cet enfant unique que la Providence avait daigné lui donner ? Louis avait beau être mentalement attardé, nombreux étaient les habitants du quartier qui disaient de lui qu’il était fort travailleur, serviable et obéissant. Il suffisait de lui dire les choses d’une façon simple et de lui accorder le temps de bien les assimiler. Certains auraient tout donné pour être à la place de Firmin.
    — N’attends pas la nuit pour profiter de la bienheureuse délivrance du sommeil, ma fille, dit l’abbé en se levant. Pour le moment, il n’y a rien de mieux à faire que de te reposer. Je reviendrai te voir un peu plus tard. Si, si, j’insiste. Je te l’ai déjà dit : c’est fort peu de chose en regard de ce que ta famille a fait pour le bien de notre communauté.
    L’abbé avait raison : il fallait qu’Adélie reprît des forces au plus vite pour la boulangerie, pour Louis qui l’attendait à la maison et qui devait à cause d’elle se charger d’un surcroît de travail.
    De nouveau seule avec sa voisine endormie, Adélie ne bougea plus. Ses yeux demeurèrent clos. Mais son corps tout entier criait la détresse que son âme devait taire.
    Personne n’avait remarqué le grand moine qui se tenait en retrait derrière un paravent, près de l’entrée. Son capuce avait glissé vers l’arrière pour révéler les contours anguleux de son visage et ses prunelles d’un marron très sombre au fond desquelles une lueur lointaine s’alluma. Non, il n’était pas bon que son œil eût un tel regard. Il baissa la tête. Oublié par la ronde des heures solennelles et étriquées de la vie monastique, il resta là, immobile, pendant un long moment. Il fit pour la petite boulangère une supplique muette, toujours la même, l’une de ces prières que l’on
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