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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie
Autoren: Marie Bourassa
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Chapitre I
    Le Ratier
    Saint-Germain-des-Prés, automne 1340
    L’abbaye royale de Saint-Germain-des-Prés était l’un des monastères les plus prestigieux d’Europe. Au cœur de son immense enceinte, la cour presque carrée abritait, en plus de l’église abbatiale, d’une chapelle dédiée à la Vierge et des bâtiments conventuels, quelques bâtiments de service : écuries, étables, granges, cuisine, cellier, poulailler, porcherie, moulin, hôtellerie. Des cours plus petites séparaient ces constructions du cloître et de la maisonnette de l’abbé. L’ensemble évoquait une ville à l’intérieur de la ville car, au-delà, exception faite du vaste Pré-aux-Clercs, le quartier Saint-Germain se pelotonnait autour de l’abbaye, assemblage de bois, de pierre, d’ardoises, de plâtre et de chaume à travers lequel se tortillaient une infinité de rues étroites.
    Un moine courtaud et bedonnant, en apparence désœuvré, se promenait entre deux rangs d’herbes médicinales soigneusement cultivées. Sa tonsure se saupoudrait peu à peu de gris et il avait le visage lunaire de ceux pour qui la gourmandise avait dû être inscrite par erreur dans la liste des péchés capitaux. À le voir, on avait peine à croire que cet homme était l’abbé. Ce n’en était pas moins un conseiller spirituel estimé et un administrateur hors pair.
    Une feuille de sauge froissée entre ses doigts dégagea un arôme franc dont il ne se lassait jamais. Il sourit. « Tout entouré que je sois de choses vénérables, c’est ce potager d’une saison, qui demain ne sera plus rien, que je préfère. Allez donc savoir pourquoi », se dit-il…
    L’abbé cueillit la feuille et la frotta pensivement contre sa joue ronde. C’était frais, velouté. Ce contact le réconforta. Il se plaisait à flâner dans ce coin de potager réservé aux simples chaque fois que ses soucis se faisaient trop pressants. Et ils l’étaient particulièrement ce jour-là. Car quelque part en ville, au-delà des murs de la besogneuse mais paisible abbaye, un garçon s’inquiétait pour sa mère. Le religieux, lui, s’en faisait pour le garçon. C’était un enfant anormal. Tout le monde le savait. Mais ce qui semblait encore plus anormal, c’était le fait qu’un personnage aussi important que lui se tracassât tant pour un petit roturier qu’il connaissait à peine. Par contre, il connaissait très bien les parents de ce garçon. Surtout le père.
    Le regard de l’abbé Antoine se porta du côté de l’hôtellerie. Des lierres couraient sur ses murs en pierre de taille dans lesquels avaient été percées de multiples fenêtres garnies de losanges en verre épais, teintés de rouge et de jaune sur les pourtours. En milieu d’après-midi, leurs panneaux béaient sur le jardin afin de permettre aux convalescents de respirer un air tiède, chargé d’odeurs saines. À l’intérieur, ses murs chaulés de frais, en réfléchissant la lumière, distillaient l’atmosphère positive nécessaire à ce lieu consacré à la guérison du corps. Il s’agissait là de l’une des missions traditionnelles de leur communauté, de l’une des raisons matérielles de son existence au sein de la ville.
    *
    Cette pensée ramena le moine à sa préoccupation immédiate : il lui fallait rendre visite à la petite boulangère du quartier qu’ils avaient admise le matin même dans la partie de l’hôtellerie réservée aux femmes.
    — Le saignement a grandement diminué, mon père, lui dit en l’accueillant avec nervosité un vieux moine qui faisait office d’infirmier. Je viens de lui donner à boire une décoction forte de camomille. C’est pour les crampes.
    Ce n’était pas tous les jours qu’on voyait l’abbé se déranger personnellement pour lui rendre visite.
    — C’est bien.
    L’abbé ne put s’empêcher de ressentir du soulagement. Aristote affirmait que le seul regard venimeux et nuisible de la femme à l’époque de ses menstrues ternissait les précieux miroirs et pouvait jeter un sort à quiconque n’y prenait pas garde. La nature de la femme était certes mystérieuse ; les sommes encyclopédiques qui pullulaient à présent dans la bibliothèque en étudiaient la physiologie d’une façon extrêmement poussée, voire gênante. Le processus de la grossesse y était décrit et les traités d’anatomie étaient fort élaborés. On y démontrait que l’homme était créé à l’image de Dieu, que l’apparence des petits
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