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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie
Autoren: Marie Bourassa
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chef-d’œuvre avait été une réussite ; Firmin avait pu prêter serment et était ainsi devenu maître. Il avait versé une somme réglementaire à la confrérie, ainsi qu’à ses collègues qui lui avaient porté assistance pour son examen. Il avait enfin défrayé les coûts du festin traditionnel offert à tous ses collègues. Ce soir-là, il avait mis fin à une pénible tempérance ; elle n’avait que trop duré et la partie était gagnée. Ses compagnons l’avaient retrouvé ivre mort le lendemain matin sous l’une des longues tables du banquet.
    La réputation de la boulangerie Ruest était bien établie, à l’époque. De nombreux ménages aisés du quartier avaient depuis longtemps déjà renoncé à confectionner leur propre pain, lui préférant les miches savoureuses dont seule cette famille détenait la recette. Cela valait largement la dépense de quelques sous chaque jour, en leur évitant en plus la corvée fastidieuse d’avoir à pétrir leur propre pâte et de l’emmener à la boulangerie pour qu’on l’y enfournât pour eux.
    Une fois son examen passé, Firmin n’avait plus eu qu’à attendre le décès de son père et le départ de son frère pour acheter sa charge au roi et pour se marier. Il était alors âgé de vingt-cinq ans. Il était fin prêt à succéder au vieux maître. Il avait dûment acquis le droit d’être son propre patron, de posséder la boutique promise en héritage et d’exercer le commerce qui s’y rattachait. Il avait épousé la fille d’un collègue, comme cela se faisait souvent. La plupart des boulangers ne s’établissaient à leur compte qu’une fois mariés, ne pouvant assumer seuls à la fois la confection du pain et sa mise en vente. L’épouse était directement affectée au service de la clientèle. Comme elle devait se charger du nettoyage de la boutique aussi bien que de la prise des commandes, elle travaillait généralement de prime* à complies* passées. La cour de Firmin auprès de sa future épouse avait été aussi brève que ce qui était permis par les convenances, car il avait besoin d’aide. Et il s’était un peu trop empressé d’engrosser la jeune fille qu’il courtisait.
    La jeune Adélie avait eu tôt fait de se substituer à son ivrogne de mari, de plus en plus négligent, pour assurer leur subsistance et le fonctionnement de la boutique. Pour être privé des droits attachés à sa fonction, Firmin eût dû commettre une faute grave. Or il n’en commit jamais : Adélie le sauva de l’exclusion en prenant discrètement la responsabilité de la boulangerie chaque fois que son mari était trop intoxiqué pour travailler correctement. Personne n’y trouvait à redire, car, malgré un retour graduel dans les mœurs de l’antique code romain, rétrograde dans maints domaines, bien des femmes étaient encore considérées comme partenaires, et non comme esclaves, dans l’entreprise de leur mari. Il n’était pas rare que les maîtres transmettent leurs droits à leur femme. Il n’était pas rare non plus de voir des veuves continuer à exercer le métier de leur défunt mari si elles possédaient les connaissances requises. Et, heureusement pour Firmin, même si les bienfaits de leur partenariat se limitaient au partage des tâches, Adélie s’avérait une excellente boulangère.
    Pourtant, le roi ne devait jamais réclamer leurs services.
    Leur fils était né un peu plus de six mois après le mariage, le neuvième jour de mars, à l’heure où le crépuscule donnait à la neige de la cour une luminosité spectrale. Il avait fallu que ce fût un prématuré pour satisfaire aux convenances. Sa mère avait été modelée par les douleurs de l’accouchement durant près de vingt-quatre heures, seule avec l’impuissance de la sage-femme, affrontant la détermination d’un enfant qui se refusait à voir la lumière du jour. Après la délivrance, le nouveau-né avait empli la chambre de ses vagissements, ce qui avait rassuré l’accoucheuse sur son état de santé. Il avait été nettoyé et soigneusement emmailloté. Il s’était déjà mis à somnoler dans les bras d’Adélie lorsqu’on avait enfin permis à Firmin d’entrer. L’homme s’était installé dans un fauteuil surchargé de coussins auprès de la jeune mère. La sage-femme avait soulevé le bébé et l’avait posé dans les bras noueux du boulanger avant de se retirer pour accorder à la nouvelle famille un moment d’intimité.
    — Louis,
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