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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie
Autoren: Marie Bourassa
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elles patrouillaient dans les rues de Paris ; elles avaient élu domicile dans toutes les retraites à peu près inaccessibles qu’on pouvait imaginer : brèches de maçonnerie, murets en ruine, clochers d’église. Louis eût aimé être l’un de ces chats. Ainsi, on l’eût laissé à peu près tranquille. Hélas, il n’était qu’un gamin laid et sale. Sa tunique grisâtre accentuait la maigreur de sa charpente anguleuse. Il portait un bonnet informe sous lequel on pouvait deviner une chevelure foncée taillée à l’écuelle. Cette coiffure détonnait, donnant à sa tenue de mendiant un air de déguisement mal fait. Mais il y avait autre chose encore, chez lui, quelque chose qui n’allait pas. On devait y regarder à deux fois avant de découvrir que c’étaient ses yeux qui dérangeaient. Ses iris, telles deux fleurs trop obscures pour être agréables à voir, gardaient jalousement les pupilles au creux de leurs pétales, comme deux petites coccinelles noires. Il y avait bien un aspect vaguement méditerranéen dans cette teinte presque noire des prunelles et de la chevelure, mais cela n’attirait pas forcément l’attention. Néanmoins, les yeux de Louis suscitaient un malaise chez ceux qui les remarquaient. Ils donnaient l’impression que ce pauvre garçon aurait dû être intelligent. Mais les yeux de Louis étaient vides. Ils ne se posaient sur rien de précis, comme si pour l’enfant rien n’existait vraiment en dehors de lui-même. Personne n’avait envie d’essayer de causer avec lui. De toute façon, il ne semblait guère comprendre ce que l’on pouvait lui dire. En tout cas, il réagissait à peine. Parfois, les passants l’entendaient marmonner des choses inintelligibles, alors qu’il les croisait en laissant errer son regard vague et inexpressif partout, sauf sur eux. C’était triste à voir. Mais puisqu’il fallait bien que le boulanger Ruest fît quelque chose de ce pauvre demeuré, il l’envoyait par les rues du quartier livrer à domicile une partie de la production quotidienne de sa boutique. Car plusieurs personnes parmi sa clientèle bien établie en avaient fait la demande. Chose curieuse, le garçon savait toujours où aller et ne succombait jamais à la tentation d’écouler son fardeau en faisant du colportage ou de la revente dans la rue {6} . Firmin lui avait aussi formellement défendu de donner du pain à des mendiants.
    Quand le chou qu’il croquait commença à avoir un goût amer, Louis dut se résigner à le jeter. Il ne restait déjà plus rien de la partie encore comestible mais un peu rance. Il se leva en soupirant, le ventre encore plus creux qu’avant sa découverte. À aucun moment cette faim qui lui tordait les entrailles ne lui fit porter la main sur sa hotte dont le contenu couvert d’un linge propre devait être livré en trois parts, d’abord à une taverne, ensuite chez une noble veuve qui possédait un hôtel, et enfin chez le gentil forgeron qui lui avait un jour montré comment on ferre un cheval. Il s’interdisait de seulement songer à tous ces pains frais qu’il transportait, à leur intérieur humide sous une croûte dorée et croustillante, à ces toutes petites miches de froment dont la panse était gonflée par une mie tendre et légère, presque sucrée, blanche comme la neige nouvelle. Ces pains-là se vendaient très cher. Il se remit en route en s’efforçant de passer par là où la puanteur des rigoles allait lui faire oublier un peu tous ces arômes tentateurs qu’il traînait dans son sillage.
    Louis aimait son travail. Il aimait à se retrouver seul, oublié, dans des rues grouillantes de monde. Même s’il lui était en principe défendu de franchir les limites de son quartier, il ne pouvait s’empêcher de passer outre à cette règle. Certains endroits qu’il préférait entre tous, particulièrement propices aux rêveries, n’étaient pas forcément dans le voisinage. Bien sûr il se plaisait, dans la partie sud de la ville, à déambuler rue Saint-Jacques ; elle passait près de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, à la porte du même nom, et de l’enceinte de Philippe Auguste. Cette vieille muraille avait jadis servi de rempart à la ville qui en débordait à présent, et il essayait d’imaginer à quoi avait dû ressembler ce Paris de jadis. Il continuait près de Saint-Benoît, vers l’emplacement actuel de la Sorbonne, et près des Mathurins. Mais il franchissait bientôt la Seine et se dirigeait vers l’une
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