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Le Gué du diable

Le Gué du diable

Titel: Le Gué du diable
Autoren: Marc Paillet
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lançant des insultes, sous les yeux mêmes du comte d’Auxerre. Et quelles insultes ! Tous y passaient, la famille et tout. Si tu avais entendu !… Il a fallu que les gardes interviennent pour les séparer… et avec vigueur encore. Eh bien, même maîtrisés, ils continuaient à s’injurier !
    — Fâcheux !
    — D’autant plus que certains s’en régalent.
    — Comment cela ?
    L’aubergiste, après une courte hésitation, expliqua :
    — A commencer par le comte Ermenold, deuxième du nom. Il faut savoir qu’un de ses ancêtres, l’abbé Folcrad, a vaillamment servi le roi Pépin. A ce qu’on dit, Ermenold estimerait que le domaine alloué au comté d’Auxerre est insuffisant, c’est-à-dire par comparaison avec ceux dont disposent les Gérold et les Nibelung. Naturellement, tout ce qui atteint ces derniers lui semble merveille. Du moindre incident il fait profit. Alors, tu penses, quand il s’agit d’esclandres, voire pire !…
    — Se contente-t-il d’en faire profit, ou donne-t-il aussi un coup de pouce ?
    — Je n’ai pas parlé de coup de pouce…
    — Et l’évêque Aaron, et les abbés ?
    — Tu sais ce que c’est : le ciboire d’un côté avec l’écritoire, le glaive de l’autre, et chacun veut être le premier.
    — S’il n’y avait qu’ici, murmura Timothée entre ses dents.
    — Maintenant, si tu le permets, dit en se levant maître Gérard, je vais rejoindre mes tournebroches, car c’est l’heure de la collation du soir et ma pratique va arriver. Désires-tu un autre pichet ?
    — Ton vin est excellent, mais j’en ai eu de larges rasades. Cependant, si tu vois entrer en ta taverne un moine qui n’est certes pas maigre, assistant des missi comme moi, tu pourras en apporter deux pots simplement pour lui humecter le gosier… Ah ! Ne manque pas de lui indiquer où je me tiens !
    A peine l’aubergiste eut-il quitté son hôte que celui-ci vit s’avancer vers lui un homme très jeune, blond, bien découplé. Son visage avenant, animé par deux yeux bleu foncé, exprimait à la fois énergie et tristesse. Il était vêtu d’une tunique de bonne étoffe serrée par une ceinture de cuir très simple.
    — Puis-je m’asseoir en face de toi ? demanda-t-il à Timothée.
    — Si tu le veux.
    Le jeune homme demeura un moment silencieux.
    — Le printemps, dit-il tout à coup ; avril, bientôt le Champ de Mai. On ne m’y a pas encore convoqué.
    — Ne t’en plains pas et ne sois pas si pressé de partir en campagne, fût-ce sous les ordres de Charles lui-même. La guerre signifie butin et gloire, mais aussi beaucoup de morts, et parmi les plus valeureux.
    — Oh ! je ne me plains pas et ne suis pas pressé. Simplement je me demandais : chaque année quand reviennent les feuilles et les fleurs – bientôt les premiers fruits –, voici la guerre, le butin et la gloire, et aussi le sang et la mort. N’y a-t-il que cela au monde ?
    — Qu’y pouvons-nous ?
    — C’est toi, assistant des missi dominici, qui me dis cela ? Mais à quoi sert donc une mission telle que la vôtre ?
    — A servir l’empereur tout simplement : par la défaite de ses ennemis, pour la paix de ceux qu’il gouverne.
    — Oui, oui, dit rêveusement le vis-à-vis du Grec. La paix de ceux que l’empereur gouverne… Mais sais-tu qu’ici, en ce pays, elle est gravement menacée ?
    — Comment le saurais-je ?
    — Allons, allons, toi, cet homme qu’on dit si curieux et si subtil, tu ne saurais rien ! Allons donc !… Bon, eh bien, je t’affirme, moi, que non seulement le péril existe, mais encore qu’il est proche, imminent… Écoute-moi : il faut que tes maîtres fassent quelque chose, qu’ils empêchent le malheur qui est là, tout près ! Ne disposent-ils pas de pouvoirs sans limite ?
    — Mais non surnaturels. Alors, si tu ne me dis pas ce qu’il en est, comment pourrais-je te dire ce que nous pouvons faire ?
    — Hélas ! si je le savais exactement… Mais il s’agit d’un mal sournois : il peut frapper n’importe quand, n’importe comment, n’importe où. C’est la discorde, c’est la haine. Je sens, je sais qu’il va s’abattre sur nous, sur moi et j’ignore…
    Le jeune homme baissa la tête ; il semblait accablé.
    — Alors, qu’y puis-je, moi ? s’écria le Grec.
    — Crois-tu que j’aie fait tout ce que je devais et pouvais ? murmura le jeune homme.
    — Tu en es le seul juge… Mais quel est ton
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