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Le Gué du diable

Le Gué du diable

Titel: Le Gué du diable
Autoren: Marc Paillet
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CHAPITRE PREMIER
     
    L’homme était-il ivre à ce point ? Il continuait à proférer offense sur offense malgré le silence consterné des autres convives. Debout, gobelet en main, le visage enflammé, le regard haineux, il jeta :
    — Frébald ?… Ce vieux scélérat ? Mais, par le sang du Christ, qu’est-ce que ses cheveux blancs ont à voir avec… ? Une canaille, jeune ou vieille, est toujours une canaille !
    — Assez, Wadalde ! intervint Isembard, le seigneur des Gérold.
    Mais, tout à son ressentiment, l’homme poursuivit :
    — Ses trophées ?… Par Dieu, un ignoble détrousseur de cadavres ! La faveur de Pépin ( 1 ) ? Si sa femme n’était pas une Nibelung…
    Il s’esclaffa.
    — Et quelle Nibelung !
    — Il suffit, coupa sèchement Isembard qui s’était levé. Assieds-toi et tais-toi !
    — Mais cette Adelinde…
    — Assez ! répéta le maître de maison.
    — Dommage, il était pourtant bien parti, grommela son fils Badfred.
    — En effet, il est même arrivé, lâcha à ce moment un autre convive, homme d’armes qui était assis non loin de Wadalde.
    Il disposa devant lui la perdrix rôtie qu’il était en train de manger et poursuivit à mi-voix, en regardant le détracteur qui se rasseyait lentement :
    — Tu viens de prononcer ton arrêt de mort.
    — Allons donc… répondit le « condamné », en frissonnant malgré lui.
    — Le temps que tes paroles arrivent aux oreilles des Nibelung… profite bien de ce délai pour te mettre en règle avec le Très-Haut… Je te regretterai…
    — N’en crois rien ! intervint Badfred. Des fables que tout cela. Mélior voulait plaisanter.
    — Hélas non ! ponctua ce dernier.
    Erwin, qui présidait le banquet offert en son honneur par Isembard, était demeuré impassible ; il avait continué à mastiquer lentement des morceaux d’un cuissot qu’il prélevait sur un plat posé devant lui. Quant au Grec Timothée, son assistant, qui avait pris place au côté des hommes d’armes, il buvait son vin à petites gorgées en observant les uns et les autres. Les serveurs s’affairaient dans un silence pesant.
    — Je dois, hélas ! te dire, intervint Robert, demi-frère d’Isembard s’adressant au missus dominicus, que nos relations avec les Nibelung, ici…
    — En effet, l’interrompit Isembard, nos rapports avec Frébald et les siens sont entachés par leurs méfaits : granges brûlées, cultures saccagées, droits de chasse violés… dommages et offenses de toutes sortes, voilà leur ordinaire. Je pourrais te conduire jusqu’à la chaumière d’un de nos colons ( 2 ) à laquelle ils ont mis le feu récemment, sous le prétexte fallacieux qu’elle était construite sur leurs terres… Mais il y a pire…
    L’abbé Erwin semblait n’avoir rien entendu. Il observait les convives, Wadalde qui continuait à boire et conversait à voix basse avec d’autres convives, Mélior, attentif et calme, Robert, sévère et vexé, et Badfred, fils d’Isembard, qui paraissait défier l’univers.
    — Deux cents moines, des centaines d’écoliers, de disciples de tous âges, voilà les effectifs des abbayes et couvents en cette ville, expliquait le maître de maison. Sans doute, à présent, ont-ils plus de bouches à nourrir et de corps à vêtir que jadis. Mais, crois-moi, ils ont largement de quoi : leurs domaines, bien situés de part et d’autre de l’Yonne, donnent de bonnes récoltes et nourrissent de gras troupeaux. Avec les contributions qu’ils prélèvent, ils ont à suffisance. Alors, pourquoi réclament-ils sans cesse plus de terres, plus de bénéfices ?…
    — Il est certain qu’il ne leur manque rien, renchérit Badfred.
    — Malgré cela, reprit Isembard, depuis des années, les abbés, surtout celui de Saint-Germain, intriguent pour que leur soit restituée une partie des manses, évidemment les plus riches, que Pépin avait octroyés en bénéfice à ses plus vaillants compagnons…
    — Au premier rang desquels notre père Alard, plaça Robert.
    — C’est pourtant entre les mains de ce roi qu’il a placé les siennes, à lui qu’il a juré service et fidélité, de lui qu’il a reçu expressément son bénéfice. Que vaut ou que vaudrait alors une telle commendatio si elle ne fondait pas les droits des miens ?
    — L’empereur seul a tous les droits, intervint calmement Erwin. Et quant aux requêtes des abbés, Frébald et les siens ne sont-ils pas logés à la même enseigne
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