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Le Gué du diable

Le Gué du diable

Titel: Le Gué du diable
Autoren: Marc Paillet
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une petite foule, à pied, formée par des colons, par les commerçants qu’il avait reçus ainsi que par des curieux, en tête de laquelle s’avançait le doyen. Quand, après un quart d’heure de marche, ils furent en vue de l’Ouanne, Favier entonna une prière destinée à faire fuir les esprits infernaux et qui fut bientôt reprise par tous. Arrivés près du gué, tout en continuant leur litanie, ils cessèrent de progresser, laissant le vicaire, les deux miliciens, le doyen et deux autres hommes s’approcher prudemment de la rivière.
    Arger, sans cesser d’invoquer la protection du Ciel, conduisit sa monture apeurée jusqu’à la rive gauche du Gué du diable. Sur le limon de l’autre rive, il aperçut un corps étendu dans la position décrite par Favier : le mort gisait sur le dos, les jambes immergées dans l’Ouanne jusqu’aux genoux. Il portait à la gorge une plaie profonde, effroyable. La tête était tellement rejetée en arrière que la victime était difficilement identifiable. Tout à coup le vicaire la reconnut.
    — Seigneur, s’écria-t-il, mais c’est Wadalde ! Oh ! Dieu, Wadalde !
    Comme si de se trouver en présence non du cadavre de quelque monstre mais de celui d’un homme lui avait fait recouvrer son sang-froid, Arger prit immédiatement les dispositions qu’imposait la découverte de ce meurtre. Il envoya l’un des miliciens à Luchy, à la résidence des Gérold, pour en informer Isembard. Il ordonna que le corps de Wadalde soit emmené immédiatement à Toucy pour y demeurer à la disposition des enquêteurs. Lui-même prit au grand galop la direction d’Auxerre pour mettre le comte Ermenold, son seigneur, au courant de ce drame.
     
    Au moment où le frère Antoine et Timothée pénétrèrent dans la salle d’audience, Erwin, s’adressant au comte d’Auxerre en langue francique, lui demandait « où le corps avait été trouvé ».
    — Au Gué du diable, lui répondit le comte Ermenold ; la rivière Ouanne forme délimitation entre les terres de mon comté, situées sur la rive gauche, et celles des Nibelung ainsi que celles des Gérold, s’étendant, sur la rive droite, les premières vers le nord, les secondes vers l’est. Sur cette rive deux chemins le desservent. L’un vient de Luchy, résidence des Gérold, en parcourant leurs champs, leurs prés et leurs bois, l’autre vient d’Escamps où demeurent les Nibelung. Les deux chemins se rejoignent à quelque cinquante pas avant la rivière pour n’en former qu’un seul qui donne sur le gué. Cette partie commune est réputée n’appartenir à personne, comme le gué lui-même d’ailleurs.
    — Et c’est précisément là que se touchent les domaines des Gérold et des Nibelung ? fit confirmer Erwin.
    — Exactement.
    — Et c’est précisément sur ce chemin commun menant à l’Ouanne, rive droite, que le corps a été trouvé ? demanda Childebrand.
    — En effet.
    — Mais alors, pourquoi par des colons travaillant de l’autre côté, sur tes champs ?
    — Hier soir, ils étaient à l’œuvre non loin de ce Gué du diable. En raison de sa sinistre réputation, ils évitent de s’en approcher. Pourquoi ils l’ont fait hier, c’est ce qu’il faudra découvrir.
    — De quelle « sinistre réputation » veux-tu parler ? intervint le Saxon.
    — Des gens prétendent qu’à cet endroit, par des nuits d’orage, le diable est apparu à des égarés et à des attardés, des femmes surtout, au milieu des flammes, des éclairs, hurlant plus fort que les grondements du tonnerre, proférant, avec d’effroyables grimaces, des insultes lubriques et des menaces. Il aurait même tenté de violer des filles qui ont pu montrer les stigmates de ses griffes, comme des brûlures.
    Erwin demeura un instant songeur.
    — Le cadavre est-il resté sur place ? demanda-t-il.
    — Non, répondit Arger. Je l’ai fait transporter à Toucy. On ne pouvait le laisser comme cela. Il fallait empêcher qu’il soit dépouillé et aussi… que le démon, la nuit, ne vienne lui jeter un mauvais sort. Et puis, laisser un chrétien à demi dans l’eau avec les bêtes de la nuit qui rôdent, ces charognards de l’enfer…
    — Le corps était-il déjà froid quand il a été découvert par les colons ?
    — Ils se sont bien gardés d’y toucher. Ils sont même restés à bonne distance. Moi-même, je ne l’ai pas examiné.
    — Bien sûr… Cela dit, aucun doute… tu as bien reconnu
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