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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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allongée sur le lit de cordes. Puis
je suis sorti avec une chandelle et sur la planche de bois
qui m’a servi de pupitre pour écrire ces Mémoires, j’ai
rédigé plusieurs lettres. Elles recommandent Elvira à mes
facteurs. Avec l’argent dont je dispose encore, elle embarquera pour la première destination venue et tâchera de
gagner Rome, Florence puis Marseille, avec l’aide de ceux
qui me sont fidèles. Une lettre pour Guillaume règle
l’héritage de ma fortune. Une partie ira à ceux de mes
enfants qui en auront l’emploi et le reste, qui demeure
considérable, sera pour Elvira.
    J’ai plié ces documents et les ai placés dans le
sac qu’elle emportera. Tout à l’heure, j’y ajouterai ces
pages. La lune a disparu. Elvira partira à l’aube, c’est-à-dire dans peu de temps. Le jour qui viendra sera celui
où, pour moi, s’ouvrira à jamais la nuit. Je l’attends sans
crainte et sans désir.
    Je peux mourir, car j’ai vécu. Et j’ai connu la liberté.

 
    Postface

 
    Certains personnages historiques ont été ensevelis
deux fois. La première dans leur tombeau ; la seconde
sous leur réputation. Jacques Cœur est de ceux-là. On
ne compte plus les ouvrages qui lui ont été consacrés.
Certains sont très généraux, d’autres extrêmement spécialisés 1 . Tous l’ont enfermé dans le rôle assez rebutant
du commerçant, de l’Argentier ou, comme il est dit faussement du « Grand Argentier », c’est-à-dire du ministre
des Finances qu’il ne fut jamais. On connaît dans le
détail, par quantité de recherches historiques, la fortune
de Jacques Cœur et son activité 2 . Mais ces morceauxinertes, ces pièces comptables, ces inventaires de propriété 3 , mis bout à bout, ne reconstituent pas un homme
vivant. Tout au plus dessinent-ils la silhouette sans grand
intérêt d’un affairiste, d’un intrigant, d’un homme de
cour monté trop haut, trop vite, et qui inaugurait la
longue série des favoris disgraciés, comme le sera Fouquet sous Louis XIV.
    Le palais de Jacques Cœur, à Bourges, est visité comme
une curiosité, le témoignage d’un moment charnière,
où, à l’image de ses deux façades bien différentes, le
Moyen Âge laisse place à la Renaissance 4 . En somme, on
ne retient de lui que ce qui le suit ou le précède et cette
division entre passé et futur achève de le vider de toute
réalité propre.
    Pourquoi ai-je eu envie de substituer à ces images précises quoique inertes une réalité romanesque peut-être
moins fondée mais qui rappelle cet homme à la vie ?
Sans doute pour payer une dette. J’ai passé mon enfance
au pied de ce palais. Je l’ai vu par tous les temps et, certains soirs d’hiver, j’avais le sentiment qu’il était toujours
habité. Il m’est arrivé de m’arrêter devant certaine petite
porte, en contrebas, et de sentir sur la poignée de fer la
tiède empreinte de la main de son propriétaire.
    La maison natale de Jacques Cœur (ou celle que l’on
prétend telle) est située non loin de la mienne. Quelcontraste avec le palais ! Rien ne dit mieux l’extraordinaire destin de cet homme que la comparaison de cet
humble point de départ avec le lieu de son triomphe. Et
entre les deux, l’Orient, le voyage, les ports de la Méditerranée... Pendant mon enfance rude et grise, il fut celui
qui me montrait la voie, qui témoignait de la puissance
des rêves et de l’existence d’un ailleurs de raffinement et
de soleil. Je me devais de lui rendre un hommage à la
mesure de ce qu’il avait fait pour moi. Un moment,
j’ai eu le projet de faire revenir sa dépouille de l’île de
Chio, où il est mort. J’en avais parlé à Jean-François
Deniau, qui l’aimait beaucoup et que le projet enthousiasmait comme toutes les missions impossibles. Mais
il nous fallut bientôt nous rendre à l’évidence : il ne subsistait en Grèce ni dépouille ni sépulture. Jacques Cœur
ne pouvait être honoré que par le moyen de la littérature.
    Alors, peu à peu, naquit en moi l’idée de lui dresser
un tombeau romanesque. Je pensais à l’Hadrien des
« Mémoires » et je commençai à prendre des notes en
vue d’une œuvre de la même inspiration que celle de
Marguerite Yourcenar, sans prétendre égaler son génie.
Comme toujours, j’ai commencé par glaner, au hasard
de mes lectures et de mes voyages, des signes, des émotions, des portraits qui pourraient contribuer à bâtir cet
édifice 5 .
    Je l’ai construit en respectant les
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