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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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je
lui porte et je me disais que malgré mes préventions et
toute la réticence du début, sa bonté, sa fidélité, sa tendresse avaient fini de la transformer en amour véritable.
J’avais hâte qu’elle arrive pour entendre les nouvelles
qu’elle rapportait mais plus encore pour la prendre
dans mes bras. Je descendis à sa rencontre en courant et
dès que je la rejoignis, je la soulageai du panier et passai
mon bras autour de ses hanches. Nous finîmes le reste
du chemin essoufflés et muets, serrés l’un contre l’autre.
Il me parut qu’Elvira, qui tenait mon coude, le pressait
plus fort que d’habitude. J’eus l’intuition qu’elle était
porteuse de mauvaises nouvelles.
    Arrivés à la maison, elle alla se rincer le visage et les
bras dans le tonneau qui se remplit à la gouttière et je
l’attendis. Quand elle revint, il me sembla qu’elle avait
aussi retiré sur ses joues le sel desséché de ses larmes.
Nous nous assîmes sur le banc de bois, adossés au mur de
pierre. Elle prit une forte inspiration et me raconta d’une
voix tremblante ce qu’elle savait. Le bateau de Gênes
était arrivé. Il portait bien un message pour moi, que le
capitaine lui avait transmis oralement. Campofregoso, à
la faveur d’une nouvelle révolution politique, avait
perdu toute influence dans la ville et on l’avait pour
l’heure jeté en prison. Le nouvel homme fort était un
jeune notable qui prêchait lui aussi le rapprochement
avec la France. Mais il ne me connaissait pas autrement
que comme un fugitif, qu’il aurait été heureux de livrer à
Charles VII. Il n’y avait rien à attendre des Génois.
    Je me mis à penser très vite. Le roi d’Aragon, les chevaliers de Rhodes, le sultan même, je faisais mentalement la liste de tous les puissants dont j’aurais pu encore
solliciter l’aide.
    Comme si elle avait deviné mes pensées, Elvira secoua
la tête et me regarda. Ses yeux étaient rougis, et ses paupières gonflées ne retiendraient plus longtemps ses
pleurs. Elle prit ma main. La montagne, me dit-elle, était
cernée. Les hommes de Castellani nous avaient retrouvés. Ils s’étaient assuré, en les achetant, le concours
de bergers et de chasseurs. En contrebas, derrière les
grosses pierres éparpillées dans la plaine comme des osselets jetés sur un tapis vert, plusieurs dizaines d’hommes
armés guettaient, prêts à donner l’assaut. Ils l’avaient
laissée passer, mais en lui commandant de ne pas rester
longtemps avec moi, sous peine de subir le même sort.
    Je me levai et regardai au loin. Tout paraissait calme,
mais je ne doutais pas qu’elle disait vrai. Nous avions
gagné du temps, en nous cachant sur ce promontoire,
pourtant dès l’instant où nous étions repérés il devenait
un piège mortel. Le seul chemin qui y conduisait était
celui qu’Elvira venait de gravir. Alentour, les rochers et
les ronces interdisaient la fuite. Et la cave située derrière
la maison était une bien mauvaise cachette qui ne résisterait pas à une fouille approfondie. Tout était fini.
    *
    Je me suis interrompu une dernière fois pour mettre
mes affaires en ordre. Nous avons décidé qu’Elvira partirait au matin, comme les sicaires le lui avaient recommandé. Elle ne voulut d’abord rien entendre, refusait de
m’abandonner, gémissait et criait d’angoisse. Je l’ai
calmée par de longues caresses, et nous avons employé
une grande partie de cette belle nuit à nous aimer. Il est
rare que l’on soit conscient, en amour, de vivre une dernière fois. Mais quiconque a fait l’expérience de traverser
en pleine lucidité l’ultime moment d’une passion saitqu’une telle épreuve, mêlant à l’inconnu du lendemain
la force des instants partagés, dépasse tout en beauté, en
douleur et en plaisir. Parmi les objets qu’Elvira avait rapportés du marché se trouvaient des bougies. Nous les
avons allumées toutes, pour illuminer notre cabane. Les
poutres d’acacia mal équarries, la rude surface des
pierres entassées, les meubles de bois polis par les mains
calleuses des bergers se sont mis dans la lumière à jeter
des lueurs blondes et des reflets dorés. Nous avons bu
le vin clairet de la jarre et mangé des olives. Elvira a
chanté de sa voix profonde et, en entendant les rondes
sonorités des mots grecs, nous avons dansé pieds nus sur
la terre fine du sol, plus douce que les parquets cirés des
palais de Touraine. Tard dans la nuit, Elvira s’est endormie
dans mes bras et je l’ai
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