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Le Glaive Et Les Amours

Le Glaive Et Les Amours

Titel: Le Glaive Et Les Amours
Autoren: Robert Merle
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nourrice Honorée. Tout, chez elle, était excessif : la
bedondaine, le fessier, le tétin. Mais cette abondance de chair n’enlevait rien
à la bénignité de son regard et à la douceur de sa voix. En contraste, son mari
était petit et vigoureux. Après un salut, il me dit son nom et celui de sa
femme. Il s’appelait Erwane, et sa femme Gwenola. Il va sans dire qu’ils
avaient aussi un nom de famille qui était Nedelec.
    — Vous êtes donc tous deux Bretons, dis-je avec un
sourire, et partant de fort bonnes gens.
    — Nous faisons de notre mieux, Monseigneur, dit Nedelec
en rougissant, mais fort heureux, me semble-t-il, que je fisse à la fois
l’éloge de la Bretagne et des Bretons.
    Je lui demandai alors quels gages Monsieur de Brissac lui
baillait.
    — Mais aucun, dit Nedelec avec surprise. Nous avions le
logis, l’eau, le bois de chauffage, et une part des légumes et des œufs.
    — Nedelec, dis-je, il me semble que ce retour en
Bretagne ne vous réjouit guère.
    — En fait, Monseigneur, pas du tout. Ma sœur, chez qui
je logerai, babille comme cascade, et mon beau-frère est une bête brute qui bat
sa femme, fouette ses enfants et maltraite le laboureur. En outre, il est
chiche-face et pleure-pain à faire frémir, et si je travaillais pour lui, ce
qui est tout à fait exclu dans mon esprit, le labeur serait prou, et les gages,
petits.
    — Dans ces conditions, pourquoi ne demeurez-vous pas
céans dans vos pénates en dirigeant comme devant la ferme ?
    — Ah, Monseigneur, Monseigneur ! s’écria Nedelec,
je n’eusse osé le quérir de vous, mais ce serait pour moi et ma femme grande
joie et soulas de demeurer céans.
    — Adonc ! dis-je en lui baillant une tape sur
l’épaule, c’est résolu. Vous demeurez. Une question encore, Nedelec, dis-je, ne
touchant pas de gages, comment faisiez-vous pour la vesture et le
soulier ?
    — Hélas, nous vendions pendant plusieurs jours des œufs
dont nous devions nous passer, ce qui nous imposait un jeûne désagréable.
    — Voilà une vesture qui coûtait cher à votre gaster.
    — Oh pour ça, nous avions toujours les légumes !
    — Aviez-vous congé le dimanche ?
    — Seulement le matin pour ouïr la messe, laquelle était
chantée et longuissime, Monsieur de Brissac, votre prédécesseur, étant si
pieux.
    — Ai-je bien ouï ? Il était pieux ?
    — Ah, Monsieur, pour la prière il ne craignait
personne. Cependant j’aimais assister à la messe du dimanche.
    — Pourquoi cela ?
    — Parce qu’une fois à genoux sur les dalles, je pouvais
couvrir mon visage de mes mains pour prier, mais au lieu de prier je dormais
comme loir. Cependant, je ne voulais pas léser par là le Seigneur, et chaque soir
sur ma paillasse, juste avant que mon sommeil me dorme, je faisais une prière
au Seigneur Dieu pour qu’il me pardonne d’avoir dormi au lieu de prier en son
église.
    — Et croyez-vous qu’il vous ait pardonné ?
    — Oui-da ! J’en suis bien assuré. Il pardonne tout
à tous, comme un père à ses enfantelets.
     
    *
    * *
     
    Le soir venu et les courtines tirées, je contai à ma
Catherine notre entretien avec Nedelec. Les bougies parfumées étaient allumées sur
notre table de nuit comme à l’ordinaire. Quand j’eus fini ma râtelée, Catherine
me dit avec un petit sourire :
    — Si je vous entends bien, vous allez meshui donner des
gages à Nedelec ?
    — C’est, en effet, mon intention. Ne seriez-vous pas
d’accord ?
    — Assurément, je le suis.
    — Expliquez-moi alors pourquoi vous souriez ?
Êtes-vous en train de me dauber ?
    — Tout le rebours, je suis par vous attendrézie.
    — Et pourquoi ?
    — Tant d’hommes sont si pleure-pain et
chiche-face ! Je vous sais gré de n’être pas l’un d’eux.
    — Et pour moi, m’amie, je vous sais gré d’être ce que
vous êtes. Si le Seigneur voulait vous remodeler âme et corps, je Lui
supplierais de n’en rien faire.
    Je ne sais pas si Catherine en son for, mais sans en piper
mot, ne regrettait pas Paris et ses merveilleux magasins, car ce n’est certes
pas à Viroflay qu’elle allait trouver les robes, les bijoux et les parfums dont
elle était raffolée. C’est pourquoi, observant son silence, je lui promis
qu’une fois par semaine, du moins si le roi m’en laissait le loisir, nous
irions déjeuner et dormir en notre hôtel parisien, ce qui serait aussi une fort
bonne occasion pour nous de nous assurer que les soldats et les servantes
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